La 61e édition du World Press Photo, le plus prestigieux concours annuel de photographie professionnelle, était de passage à Montréal du 29 août au 30 septembre dernier. Cette 13e édition montréalaise a présenté les photographies gagnantes parmi les 73 000 clichés soumis par 4500 photographes au jury de compétition. Celles-ci proposent un temps d’arrêt sur les grands enjeux et événements de l’actualité qui ont marqué l’année. Cela ne va pas sans dire que, bien qu’elles soient des œuvres esthétiques, elles sont aussi frappantes parce que crues de vérité, mais donnent à réfléchir. Regard sur ces images qui sont peut-être dignes des plus grands films, mais surtout de notre réalité mêlée.
Mossoul, libérée

Cette année, les conflits armés n’ont certainement pas été épargnés par la lentille des photographes. À ce propos, le travail d’Ivor Pricket (Irlande) a notamment porté sur la lutte contre l’État islamique en Irak, mais, plus particulièrement, sur la bataille pour la ville de Mossoul, déclarée libérée par les forces fédérales en juillet 2017.
Ce cliché, parmi les photographies de sa série « La bataille pour Mossoul », démontre, d’une part, l’ampleur des dégâts résultant de l’offensive armée sur l’ouest de la ville et, d’autre part, symbolise les violences dramatiques qui y ont eu lieu alors que les combats faisaient rage. Effectivement, comme en témoigne la photo, ce jeune garçon, soupçonné d’avoir été pris comme bouclier humain par un militant, est finalement soigné par des membres des forces armées irakiennes. Douloureux de penser que cet enfant ne fait pas l’exception puisqu’à la croisée des deux feux, les populations civiles ont été souvent utilisées en tant que couverture afin de rendre certaines zones à l’abri des opérations militaires.
Savoir être au bon endroit, au bon moment, c’est ce qui fait notamment le talent d’un photojournaliste tel que Goran Tomasevic (Serbie). Ce dernier, sous l’œil de sa caméra, l’a prouvé en captant l’instant même où ce civil, présumé être l’auteur d’un attentat à la bombe, a été abattu à l’occasion de la bataille pour la libération de Mossoul (mars 2017). Cette prise est, non seulement une fenêtre privilégiée sur les combats, mais pose tout autant la question de l’ambiguïté des opérations militaires qui guident les lignes de front et les drames qui y sévissent : « Et si ce n’était pas un kamikaze finalement? » Voilà une question qui interpelle bien des spectateurs du World Press. Force est d’admettre que cette image adresse aussi la complexité de la réconciliation irakienne dans un contexte où la population civile a elle-même été traitée comme l’ennemi…
Liberté aquatique
Définitivement tape-à-l’œil, le projet photographique « Trouver la liberté dans l’eau » présente des jeunes filles et femmes à l’apprentissage des rudiments de la nage, au bord de la plage sur l’île de Zanzibar. Principalement en raison des restrictions traditionnelles islamiques et de l’absence de tenues de bain appropriées en l’espèce, ces femmes sont habituellement dissuadées d’apprendre à nager. Toutefois, grâce à l’initiative Panje (le mot « panje » se traduisant à « gros poisson »), celles-ci ont la chance de poursuivre un tel apprentissage qui est crucial sur une île, et ce, sans compromettre leurs convictions culturelles ou religieuses. L’éducation dans l’eau, tremplin vers l’autonomisation de ces femmes, leur permet donc de repousser les frontières existantes et de nager vers leur émancipation. L’une des images les dévoile, oscillantes sur l’abime azure qu’est l’océan indien, enlacé de leur tunique ocre. Un portrait coloré, à couper le souffle et qui réussit à nous voler un sourire.
Sommeil simulacre
D’autres photographies ont également retenu l’attention du World Press et de ses visiteurs telle que celle dépeignant deux jeunes filles ensevelies de douillettes, les yeux clos et munis de corps étrangers introduits dans le nez… Ce dernier élément exclut de facto l’idée d’un sommeil ordinaire, mais, à la lumière de ces indices, demeure que loin est de notre esprit l’état qui les affecte. À vrai dire, Djeneta (droite) et Ibadeta (gauche) sont de jeunes réfugiés roms atteints du syndrome de résignation, condition dont le principal élément déclencheur serait le traumatisme. Le syndrome de résignation rend muet, incapable de manger, de boire et insensible aux stimuli physiques. De plus, pour l’instant, seuls les réfugiés âgés de sept à dix-neuf ans, principalement originaires de pays ex-soviétiques ou de l’ex-Yougoslavie, ont été touchés. Une image surprenante qui sort des sentiers battus.
Enfants jockeys
Bouzkachi …. Ou presque! Il ne s’agit pas du sport équestre afghan qui a amené Alain Schroeder (Belgique) à être récompensé gagnant du 1er Prix dans la catégorie « Sports » du concours. Pour sa série de photos, il s’est rendu sur l’île de Sumbawa, en Indonésie, pour photographier de jeunes garçons, âgés de cinq à dix ans, montant des chevaux durant les courses traditionnelles de Maen Jaran. Il est inévitable d’observer le contraste entre la petite taille des gamins et celle des chevaux musclés, qu’ils montent sans protection pour gagner au final sept euros par course. Lors d’un entretien donné à Radio-Canada, le photographe s’exprime comme suit à propos des constats qu’il a faits : « Pendant les courses, je ne suis pas tout à fait sûr que les enfants font ça pour le plaisir. C’est évident qu’ils aiment monter à cheval, mais là, ils doivent gagner. »
En attente de la liberté
Quant à lui, Neil Aldrige (Royaume-Uni) a choisi comme thème le braconnage en Afrique du Sud, coin du monde où en 2014 cette pratique s’est chiffrée à 1 215 rhinocéros abattus (comparativement à 13 rhinocéros en 2007). Les cornes du rhinocéros en poudre sont hautement prisées pour leurs supposées vertus médicinales et sont également utilisées comme drogue récréative dans certains endroits. Présentement, le rhinocéros blanc du Sud est considéré comme une « espèce quasi menacée ». Donc, « En attente de la liberté » nous donne à voir l’homme comme source de dégradation de son propre environnement.
Âge d’art
Dans le portrait intime d’Ich Bin Waldviertel (Pays-Bas), Alena, Hannah, Céline et Martin s’amusent à jouer à l’extérieur de leur maison, située dans le village autrichien bioénergétique de Merkenbrechts. Le choix du noir et blanc embrasse doucement les personnages et accentue l’aspect romantique de la série de photographies, pourtant ces enfants ne sont pas figés dans la fiction. À l’ère des catastrophes climatiques et de l’époque où les gamins naissent pratiquement avec un « iPad » à la main, ces frères et sœurs profitent de leurs jeunes jours de liberté, grandissent ensemble en pleine nature et dans un environnement qui la respecte. Plein d’amour, cette histoire est définitivement une petite brise d’espoir sur cette exposition qui prend le pouls trop souvent désespérant de notre planète.
Porter la photo dans la plaie
Ainsi, chaque année, le World Press Photo présente à ses milliers de spectateurs des photographies poignantes qui dévoilent le monde tel que nous préférerions ne pas le voir. Or, ses histoires incitent à s’arrêter, à ressentir et à se questionner sur ce monde complexe et varié à la fois avec des plaisirs quotidiens et des conflits armés acharnés, des idéologies de haine ou d’amour, des désastres environnementaux et des défis mondiaux à la hauteur de la laideur et de la beauté du monde. À l’époque des réseaux sociaux et du « swipping », le World Press nous propose des images en réelle dimension qui nous force à nous réunir une fois par année, en société, pour réfléchir à l’état du monde. Conscientiser. C’est là la première mission dont le World Press s’est doté et c’est sans l’ombre d’un doute, un pari gagné.
Camilla Thiffault