Mot de bienvenue de la doyenne
Bonjour, hi, kwe, kwe, kaskina! Bienvenue à la Section de droit civil de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa! Bienvenue chez vous!
Il me fait extrêmement plaisir de vous accueillir officiellement pour cette rentrée universitaire 2020, une année extraordinaire à tous points de vue! Sachez que l’on vous attendait impatiemment et que vous ne pouviez vous lancer dans cette grande aventure à un meilleur moment. En effet, l’année 2020 passera certainement à l’histoire comme une année génératrice de révolutions.
Révolution sur le plan technologique d’abord, il va sans dire. Qui eut imaginé, il y a de ça six mois que notre rentrée solennelle des cours se produirait en direct sur YouTube, qu’il ne serait possible de se rendre dans le pavillon Fauteux qu’en entrant dans un jeu vidéo sur la plateforme Minecraft, fruit de la créativité des professeurs Thomas Burelli et Alexandre Lillo, ou encore que tant de vos professeurs, de tous âges, deviendraient familiers avec les balados, les forums de clavardage, les capsules vidéos et l’enseignement asynchrone et synchrone.
La profession juridique, jusqu’à récemment jalouse de ses voûtes et de ses greffes remplis de papier est elle aussi en train de se transformer à la vitesse grand V, enchaînant les salles d’audience virtuelles permanentes et même la signature électronique d’actes notariés à distance. Notre Cour suprême a donné l’exemple au printemps dernier en tenant ses audiences sur Zoom. Et si, bien sûr, on ne s’habituera jamais à l’absence physique de l’autre, force est de constater que le virtuel nous aura aussi permis, par moments, de multiplier les espaces de rencontre et d’échange et de réduire la distance qui nous sépare. Parce que cette révolution, chers étudiants et étudiantes, elle est aussi pédagogique et nous permettra de rédefinir nos interactions et de profiter au maximum du temps passé les uns avec les autres, dès que ce sera possible.
Révolution, tout aussi certainement, sur le plan scientifique. La rapidité avec laquelle le milieu scientifique s’est mobilisé et solidarisé autour de la lutte contre la COVID-19 est extraordinaire, une mobilisation sans précédent, qui fait l’envie d’ailleurs de d’autres enjeux de santé publique qui, eux, ont été malheureusement relégués au second plan, comme la crise nationale des surdoses d’opioides qui s’est accentuée ou encore celle liée à la santé mentale d’une population confinée.
Pourtant, cette mobilisation a aussi promu l’accessibilité, l’interdisciplinarité et la transversalité des connaissances en médecine, comme en sciences et en droit. À la Section de droit civil, nous n’avons pas hésité à innover en lançant cet été un cours sur les enjeux sociojuridiques de la pandémie de COVID-19 réunissant plus d’une quinzaine de professeurs, sous le leadership de la vice-doyenne aux études Sophie Thériault, la coordination de notre talentueuse doctorante Andrea Talarico et le regard cinématographique d’Étienne Trépanier.
Les questions qui préoccupent désormais nos concitoyens et animeront la société de demain ne peuvent plus être pensées en vase clos et exigent des réponses des juristes : est-il justifié et utile d’avoir recours au pouvoir coercitif du droit criminel afin de s’assurer que l’on respecte les règles de la distanciation physique et à quel coût, des questions auxquelles tente de répondre notre collègue Terry Skolnik? Quel est le rôle de l’intelligence artificielle et des technologies de l’information, telle la géolocalisation, afin de prédire, de suivre et d’endiguer une pandémie? Ce sont là des préccupations au cœur des recherches de la professeure Céline Castets-Renard. Ou encore, comment revoir nos chaînes d’alimentation afin d’assurer un accès équitable et sécuritaire à la nourriture tout en protégeant nos écosystèmes et les droits des travailleurs de l’industrie agroalimentaire, se demande la professeure Sarah Berger Richardson? Finalement, de quel droit le Québec peut-il fermer ses frontières à l’Ontario dans une région à forte intégration comme celle d’Ottawa-Gatineau, se sont demandés plus tôt ce printemps nos collègues Benoît Pelletier et David Robitaille?
Tout au long de vos études et souhaitons-le vivement, au-delà de cette pandémie, je vous invite à participer aux activités de recherche de vos professeurs qui tentent de répondre à des questions d’une grande pertinence scientifique et qui, à chaque jour, contribuent à générer ou à appuyer de nombreuses révolutions dans nos communautés.
Mais s’il est une révolution sur laquelle je ne saurais suffisamment insister parce qu’elle interpelle directement les juristes en formation que vous êtes, c’est bel et bien la révolution sur le plan social et politique réclamée depuis plusieurs semaines dans les rues du monde entier. Cette révolution qui, pourtant, devrait être derrière nous depuis longtemps. Celle qui sonne l’alarme climatique. Celle qui nous demande de reconnaître les ravages de la colonisation, 30 ans après la crise d’Oka et 25 ans après la tragédie d’Ipperwash. Celle qui demande la fin du racisme, de la violence policière, de la discrimination systémique et des inégalités sociales et à laquelle fait écho aujourd’hui même le mouvement des universitaires pour la justice raciale. Celle qui exige que l’on traite et respecte les vies humaines. Because #Black Lives matter. La vie des Noirs compte. Ces constats sont au cœur des engagements de notre Faculté et de l’Université d’Ottawa envers la justice sociale, la diversité, la lutte au racisme et à la discrimination systémique et la réconciliation avec les Premiers Peuples. Cette rentrée est d’ailleurs l’occasion pour nous d’exprimer toute notre solidarité et de célébrer les personnes issues de la diversité qui font partie de notre communauté.
Parce que la discipline du droit dans laquelle vous vous aventurez aujourd’hui et qu’il vous faudra des années à découvrir, vous sera parfois présenté comme un ensemble cohérent, systématique et neutre de règles séparées de la morale et de la politique, il sera parfois tentant de penser que le droit est une science d’application universelle qui produit les mêmes effets pour tous les citoyens. Or, il vous suffira de mieux connaitre la Loi sur les Indiens, une loi coloniale permettant encore aujourd’hui de refuser aux personnes autochtones les mêmes droits qu’aux allochtones sur leur territoire. Il suffira d’observer l’application de politiques sur lesquelles les policiers s’appuient pour procéder à des contrôles aléatoires d’identité qui continuent d’avoir des effets discriminatoires sur les populations racisées et de mettre leurs vies en danger, ou encore il suffira de réfléchir à l’interdiction récente de se trouver dans un parc en pleine pandémie pour découvrir que celle-ci n’a pas le même impact pour les personnes en situation d’itinérance que pour les propriétaires de vastes résidences avec une cour arrière, pour remettre en question ces présupposés.
Tout au long de votre formation, je vous invite à identifier ces interstices où le droit créé des situations injustes. Car il sera essentiel de se rappeler, en cette année 2020, en cette année de révolutions, que le droit est avant tout un savoir social, avec des conséquences concrètes dans la vie des gens. Un savoir qui peut vivre à contrecourant ou encore au diapason des problèmes de notre temps. C’est pourquoi nous avons tellement besoin de juristes, c’est pourquoi nous avons besoin de vous à ce moment-ci de notre histoire. Pour mieux comprendre comment le droit contribue à la création d’inégalités et au maintien de préjugés bien ancrés, mais surtout comment il peut être un outil puissant de changement. À partir de maintenant, il sera de votre responsabilité de répondre à ces enjeux sociaux et de faire avancer le droit.
Pour y arriver, cela vous demandera de faire preuve d’humilité et d’ouverture d’esprit. Vos consoeurs et confrères de classe, que vous apprendrez à connaître de façon toute particulière cette année à partir de plateforme virtuelles, viennent de plusieurs milieux et ont vécu des expériences de vie qui sont probablement éloignées des vôtres. Apprenez à les connaître et à comprendre et respecter leurs réalités. Le droit se nourrit de ces expériences diverses, il devient meilleur en raison de celles-ci. Et vous, vous deviendrez de meilleurs juristes et êtres humains en contact avec cette diversité.
Pour ce faire, je vous invite à profiter pleinement de ce séjour chez nous, qui passera très rapidement, je vous le dis, afin de participer aux nombreuses activités et expériences qui font de la Section de droit civil un lieu unique pour apprendre le droit : profitez de la proximité de notre Faculté avec les trois branches de notre gouvernement, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire; profitez de notre Clinique en droit notarial, impliquez-vous auprès du Centre de justice de proximité de l’Outaouais qui accompagne des personnes devant la Cour des petites créances, joignez-vous à l’un de nos 20 clubs étudiants et dès que ce sera possible, découvrez les cultures juridiques millénaires des Innus ou des Atikamekw par le biais de nos écoles d’été.
Cher étudiants et étudiantes, l’année 2020 est une année charnière, une année de révolutions, c’est votre moment, saisissez-le!