CHRONIQUE EN DROIT DE LA PERSONNE

Michael, 28 ans, habite avec sa copine Rachel depuis deux ans, dans un petit quartier calme et douillet de Montréal. Michael est électricien. Rachel, n’ayant jamais terminé ses études secondaires, travaille de nuit « dans une usine ». Une vie normale et ennuyante, mais sécuritaire, du moins en apparence. Un matin glacial de mars, Rachel ne rentre pas du travail. Au moment où Michael tente de la rejoindre, il reçoit un appel du poste de police : Rachel lui demande de venir la chercher. Sa voix tremble. À leur retour, elle éclate en sanglots et lui avoue que chaque soir, elle offrait plutôt ses services au sein d’une maison close. Une enquête est alors ouverte et Michael se voit accusé d’exploitation de personnes quelques jours plus tard. Aura-t-il le fardeau de prouver qu’il est innocent, allant ainsi contre le droit à la présomption d’innocence que l’on retrouve à l’article 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés ?
Selon le projet de loi C-452, parrainé par l’ancienne députée Maria Mourani et adopté par la Chambre des communes en novembre 2013, le fardeau de présomption d’innocence devrait être renversé. En d’autres termes, cela signifie que l’accusé, notre ami Michael, devra prouver qu’il n’exploitait pas la victime, et qu’il n’était pas au courant des activités liées à la prostitution que celle-ci pratiquait. Le projet ne s’arrête toutefois pas là : les témoignages des victimes deviendront secondaires, en raison du fardeau de preuve renversé. De plus, les peines seront consécutives, donc plus sévères, plutôt que singulière et élevée. Enfin, les biens de l’accusé seront saisis, sauf si celui-ci prouve qu’il est innocent.
Ce projet de loi aurait pu être adopté par le gouvernement conservateur bien avant les élections et l’ère Trudeau, mais le décret n’est jamais entré en vigueur… Nous nous retrouvons donc avec un nouveau gouvernement qui ne remet pas en question les impacts positifs de son prédécesseur, étonnamment, mais qui doute toutefois de la constitutionnalité d’un point majeur : la lourdeur des peines.
Le Québec, de son côté, se range avec la version originale adoptée par la Chambre des communes. Selon le Barreau de la province, il n’y aurait pas de problème de constitutionnalité. Celui-ci se base sur l’arrêt Downey, rendu en 1992, pour justifier son point. Toutefois, peut-on être certain que ce sont les conclusions de cet arrêt qui font peser le poids dans la balance ? Ou ne serait-ce pas plutôt le problème pressant des jeunes filles mineures disparues au centre jeunesse de Laval, au courant de la première semaine de février, ainsi que celles qui continuent à ce jour de manquer à l’appel, qui pressent également le gouvernement, du fait de l’importante couverture médiatique qui entoure ces événements ?
Bien que le Premier ministre, Justin Trudeau, comprenne le sentiment d’urgence, l’inconstitutionnalité des peines minimales successives semble trop problématique pour adopter le décret.
Ainsi, que doit-on prioriser ? D’un côté, la disparation de jeunes femmes aux mains de proxénètes se fait de plus en plus fréquente et la Couronne arrive difficilement, en général, à faire un commencement de preuve contre ces derniers. De ce fait, tous les jours, les chances de retrouver et d’aider ces victimes s’amincissent. De l’autre côté, est-ce juste (et constitutionnel) d’arrêter un individu simplement car il réside sous le même toit qu’une personne vivant des produits de la prostitution, en plus de lui infliger des peines successives, qui, selon certains experts, pourraient se cumuler sur des centaines d’années d’emprisonnement à faire ?

Supprimer les peines cumulatives serait, si je ne m’abuse, la meilleure solution pour permettre l’application immédiate du décret, car ce dernier ne semble pas ambigu en soi, mais simplement équivoque en partie. La difficulté avec l’adoption d’un projet de loi réside souvent au moment de la révision, dans le cas présent, révision au point de vue constitutionnel. Celle-ci amène trop fréquemment des délais qui s’étirent au point où l’on oublie l’enjeu jusqu’à la prochaine crise, en l’occurrence la prochaine vague de disparitions. En toute déférence, l’autre option que le gouvernement envisage penche davantage sur l’application des dispositions du projet de loi, sans pouvoir assurer préalablement leur constitutionnalité. Il me semble que d’offrir en première instance ce qu’on risque de retirer en appel est aussi contreproductif sinon pire que de ne rien faire dans l’immédiat.
Mais n’y aurait-il pas une autre solution, même temporaire, afin de réduire les risques de disparition en attendant que le fédéral s’assure que toutes les dispositions législatives de son projet de loi ne soient conformes à la Charte? Par ailleurs, ne serait-il pas plutôt de la responsabilité des provinces d’assurer un meilleur contrôle des activités criminelles qui ont lieu sur leur territoire? Et ne serait-ce pas également au provincial de mettre en place des programmes d’aide mieux encadrés pour les personnes à risques? Quoiqu’il en soit, le sort de Michael est maintenant entre les mains du gouvernement Trudeau.