Catégories
Droit criminel et pénal

Quand le silence et l’inaction sont complices de violences conjugales

Dans la violence conjugale, il y a toujours une escalade au niveau du contrôle. Quand la violence psychologique ou verbale ne fonctionne plus, les hommes[1] changent de stratégie et c’est à ce moment que la violence physique se mêle à la relation du couple. D’autres formes de mauvais traitements peuvent s’ajouter aux voies de fait, dont l’agression sexuelle, les menaces, le harcèlement ou encore l’exploitation financière. Disons tout haut ce que plusieurs pensent tout bas : « ces femmes violentées aiment les gars rudes ». Malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation, il existe encore beaucoup de préjugés par rapport aux victimes de violence conjugale. De la part de la société, les victimes obtiennent de la tolérance, de la minimisation et une banalisation de la violence. En somme, les gens responsabilisent la femme victime et n’interviennent pas. Les proches de la victime deviennent donc les témoins silencieux d’une spirale de violence qui peut terminer par le pire des scénarios.

Généralement, c’est la lâcheté des femmes victimes qui est mise de l’avant par les gens. En 2015, les femmes sont autonomes, elles n’ont qu’à partir si leur relation amoureuse ne leur convient pas. « Le hic, c’est que ces femmes aiment leur conjoint, elles veulent simplement que la violence cesse ». C’est ce qu’a constaté la criminologue Catherine Rossi dans ses entretiens avec des femmes victimes. Ces femmes ne veulent pas partir, elles veulent que la situation change. Cependant, comment demander au conjoint violent de suivre une thérapie pour arrêter ces violences sans qu’il soit en colère de la demande ? Bonne question. La tâche n’est pas sans difficulté, mais ces femmes qui veulent que la violence cesse ne peuvent pas y arriver seules.

L’entourage est au premier plan pour une intervention dans le cycle de la violence. Rarement, le résultat espéré est le résultat obtenu lors de la première tentative. Il est donc important de persévérer et continuer à soutenir la victime. Il ne faut pas rester silencieux et indifférent à la situation de violence qu’elle vit.

Selon les résultats de 2013 de Statistique Canada, un peu plus de 173 600 femmes ont été victimes de violence, ce qui représente un taux de 1 207 femmes victimes pour 100 000 femmes dans la population. Le problème avec ces chiffres, c’est qu’il faut que la violence soit déclarée au service de police pour faire partie des statistiques officielles. Il y a donc encore plus de cas de violence conjugale que les chiffres le laissent croire. C’est la face cachée de la lune !

En droit criminel canadien, il y a plusieurs principes, dont la complicité et l’aveuglement volontaire. À mon avis, c’est ce que plusieurs proches des femmes victimes de violences conjugales font en préférant ne pas intervenir auprès de la victime et croire plutôt aux innombrables chutes dans les escaliers et aux portes d’armoire qui s’ouvrent sur le visage de ces femmes. Dans les années 80, le gouvernement avait mis en place une politique particulière visant la dénonciation aux policiers des actes de violences conjugales par les proches afin d’aider les victimes. Les effets de la politique ont plutôt été de renfermer les cas de violences entre les volets de la maison afin de cacher le plus possible la maltraitance. Un élément n’avait pas été pris en compte : « les femmes aiment leur conjoint, elles veulent simplement que la violence cesse ». La politique n’a pas été maintenue. Or, la situation de violence demeure. Malheureusement, il y a toujours une escalade à ce cycle. Lorsqu’il n’y a aucune intervention, qu’aucune aide n’est apportée à la victime, l’irréparable peut lui arriver. Les drames familiaux sont tragiques et plusieurs d’entre eux pourraient terminer autrement que par le décès de la victime. Le plus frappant, sans vouloir faire un jeu de mots de mauvais goût, est que les proches de la victime au procès de son agresseur devenu son meurtrier témoignent qu’ils avaient connaissance de la violence qui régnait au sein du foyer familial. Encore plus percutant, les résultats qu’une étude répondue anonymement démontrent que près de 90 % des proches avouent n’avoir rien fait pour aider la victime à se sortir de la violence de leur conjoint. Avoir la connaissance de la violence et ne pas intervenir, n’est-ce pas une forme d’approbation du geste de violence ? Et donner ainsi son approbation, n’est-ce pas une forme de complicité ? Dans le domaine juridique, bien sûr que non, mais une réflexion de société doit être faite. Ne garantissons-nous pas à chacun la vie, la liberté et la sécurité de sa personne ? Et les enfants dans cette histoire ?

Audrey-Elizabeth Picard

Audrey-elizabeth.picard@uottawa.ca

[1] La forme masculine est utilisée puisque la majorité des cas de violences domestiques sont de la part du conjoint/mari/copain par concubinage.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *