Ça dérange. Ça froisse. C’est agressant. C’est comme un pli dans un drap ou une bosse sur une piste cyclable. Appelez ça comme vous voulez, mais c’est tannant, quand il y a une tache d’encre bleue sur une feuille blanche. On la regarde, on se dit que ça serait mieux si elle n’était pas là. Ça serait plus uniforme, plus beau. Une feuille complètement blanche, ça assure la paix d’esprit, non?
Eh bien, la tache bleue, c’est ce petit pourcentage de la population qui dérange. C’est cette petite proportion de gens un peu loufoques qui déambulent dans les rues. Tu sais, ceux que tu regardes un peu étrangement parce que leurs vêtements sont bizarres ou parce que leur maquillage est trop frappant. Ce sont ces enfants qui ont grandi en dehors du moule, qui sont devenus des biscuits ovales plutôt que ronds.
Et puis, c’est dans cette société, où il ne faut pas être trop maigre parce qu’on se fait vite traiter d’anorexique, mais où il ne faut surtout pas avoir des kilos en trop parce que ça ne « promeut pas un mode de vie sain », dans laquelle chacun de nous se réveille le matin. Dans une société où on est plus belle maquillée et plus beau musclé, que vous comme moi, buvons notre café avant d’aller en classe. Cette société qui emboîte les biscuits ronds et qui, disons-le, met de côté les autres qui rentrent un peu moins bien dans l’emballage, qui encourage monsieur et madame Tout-le-Monde à concevoir le monde de façon restrictive, et parfois même suffocante pour ces fameux biscuits ovales. Ce phénomène de conformité extrême nous fait peut-être passer à côté de certaines opportunités qui pourraient grandement contribuer à l’avancement du monde dans lequel on vit…
Avez-vous déjà entendu parler d’influence minoritaire ? L’influence minoritaire, traduction de «Minority Influence», est un concept qui a été réfléchi par Serge Moscovici, pion capital de la naissance de l’écologie politique . Ce théoricien a réfléchi sur comment certaines personnes, que les normes considéraient comme excentriques par leurs idées et par leur façon de concevoir le monde, ont changé et bouleversé la communauté dans laquelle ils vivaient. Un exemple fondamental de cette théorie est le mouvement des suffragettes : ces femmes du début du 20e siècle, désireuses d’égalité et de justice qui ont réclamé le droit de vote pendant plusieurs décennies… À cette époque, rappelons-nous que ces femmes revendicatrices de droits fondamentaux, ont été pointées du doigt, ridiculisées et étouffées par un vent conservateur et patriarcal qui glaçait l’esprit des citoyens de l’ère. Ici, on ne parle pas de vêtements bizarres, mais l’idée demeure : ces femmes ont attiré des propos vexants et infamants parce qu’elles ne pensaient pas comme « le reste de la jarre ».
Un autre exemple frappant d’une minorité qui fait avancer les façons de pensée est la communauté LGBTQ+. Saviez-vous que ce n’est qu’en 1992 que l’homosexualité fut enlevée de l’énumération des maladies mentales de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ? Qu’il y a un an, 72 pays interdisaient toujours les relations homosexuelles au point de les criminaliser et que dans huit pays, les gens homosexuels qui sont en relation s’exposent à la possibilité de peine de mort s’ils sont découverts ? Qu’au Canada, il y a moins de dix ans, l’orientation sexuelle « incitait » certaines personnes, à la proportion de plus de 15%, à commettre des crimes de nature haineuse ?
À la lumière de ces faits et statistiques, il n’est pas étonnant que beaucoup d’entre nous taisent leur vraie personnalité : qu’elle concerne l’orientation sexuelle, des façons de pensée à la Tim Burton ou simplement une préférence pour la créativité et la diversité dans ses choix vestimentaires. J’ose donc lancer un message : vous, chers lecteurs, que vous soyez des biscuits ronds, ovales ou même rectangles, célébrez qui vous êtes avec tout l’amour-propre du monde. Vous êtes beaux et surtout, vous détenez entre vos mains de belles qualités qui feront en sorte que demain, quand vos enfants et petits-enfants prendront leur café avant d’aller en classe, ils sauront profiter de la possibilité et d’un sentiment qui les habite, d’être eux et d’en être fiers.
“Be yourself. No one else can.” — Helena Bonham Carter
Par Alexia Morneau