Les élections fédérales sont passées : j’espère que vous avez voté, que ce fût votre premier vote au fédéral (tel était mon cas) ou non. J’espère aussi que vous avez longuement réfléchi à votre vote et coché au ballot le choix qui vous représente véritablement. Ne l’oublions pas, notre démocratie est représentative.
Certes, je conviens qu’il est difficile d’oublier ce caractère qui reçoit l’opprobre des partis d’opposition, chantant les mérites d’un système proportionnel, mais perdant la voix lorsque vient le temps de passer «de l’autre bord». S’il est vrai que l’opportunité de notre système est bien souvent remise en question d’un point de vue institutionnel, est-ce possible que ces critiques découlent d’une source bien plus personnelle? Seulement 24 797 personnes ont voté pour Justin Trudeau à ces élections, toutefois, une bonne proportion des 5 911 588 électeurs libéraux diront avoir fait autant. Il me semble que la représentativité ait perdu sa pertinence non pour l’État, mais pour l’électeur.
Strictement parlant (c’est-à-dire, en ne traitant que du droit strict), notre vote ne vaut que pour notre représentant : un candidat, qui aspire à devenir député. Si vous suivez la politique américaine et désespérez à la notion d’«Electoral College», vous serez heureux d’apprendre que vous en faites partie. Chacun d’entre nous est membre du collège électoral chargé d’élire le représentant de la fraction de territoire qu’il habite, communément appelée circonscription. L’idée, à une époque où la population se faisait bien moindre et bien moins entassée, était de permettre à l’électeur de s’identifier à son député, et au député de s’identifier à ses électeurs. Par la suite, que ce dernier s’identifie ensuite à un parti politique, que le chef de ce parti forme le gouvernement et devienne premier ministre (à la demande du gouverneur général). Au final, que le gouvernement élu impose une ligne de parti plus ou moins rigide à votre député, tout cela relève de la convention constitutionnelle et de considérations politiques. Ces considérations sont bien sûr importantes; à l’urne, il faut les ajouter à la balance et soupeser. Par contre, pour qu’il y ait balance, il doit y avoir contrepoids : le nom que vous cochez au ballot ne vient-il pas avant le titre du parti?
Le parti et son chef occupent de plus en plus de place dans notre choix électoral. Ils sourient derrière le candidat local, mais les voilà bientôt à l’avant-plan, en train de prendre un “selfie”. La publicité suit bien l’air du temps. Grâce à elle, du moins, nous connaissons le nom du candidat (c’est l’essentiel pour cocher la bonne case), mais combien d’entre-nous avons pris le temps d’aller au-delà de la figure, et de la couleur de la pancarte? Il est vrai que le porte-à-porte nous piège parfois, nous pousse à connaître le candidat, à défaut de le mettre à la porte; mais de nos jours les portes se font trop nombreuses et sont souvent fermées…
Reste encore les discours et les débats. Pas les débats des chefs, ces événements télévisuels où l’on fait de l’arène politique un véritable amphithéâtre gladiatorial afin que chacun d’entre nous puisse offrir à la fin, après que le sang ait coulé, un pouce vers le haut ou le bas annonçant la gloire ou la mise à mort politique des participants. Non. Je parle des événements locaux : les débats organisés dans un sous-sol de bibliothèque, ou les discours prononcés au resto du coin. S’il vous est difficile d’assister à de telles rencontres, car, disons, vous passez vos semaines à l’étude en résidence dans une autre ville, sachez qu’elles sont souvent archivées sur le web et qu’on peut les retrouver en quelques mot-clics.
Bref, s’il est aujourd’hui plus difficile pour les candidats de s’identifier à nous, il nous est bien plus facile de nous identifier à ceux-ci. Chacun a sa page Facebook, son profil, son passé : il suffit de chercher. À défaut d’effectuer les vérifications, il faut vivre avec les conséquences. Les habitants de Berthier-Maskinongé l’ont appris à leur dépens en 2011 : croyant voter pour la sage figure moustachue de M. Layton, ils se sont retrouvés avec une jeune végétarienne qui n’avait jamais visité la circonscription et célébrait, au moment des élections, son anniversaire à Las Vegas. Le National Post traita l’affaire d’exemple «extrême» d’un système où les candidats sont parfois engagés sans vérification, sans espoir de gagner. Mais Mme Brosseau n’était pas à critiquer : elle s’est ensuite admirablement dédiée à sa tâche. Nous, les électeurs, avons aussi un devoir de vérification, mais est-ce qu’on s’en acquitte?
Pour les électeurs de Berthier-Maskinongé, cette surprise fut heureuse, mais d’autres ne le seront pas autant. Il n’y a pas lieu de faire de notre vote une loterie : aux prochaines élections, optons pour un vote qui nous représente vraiment.
Par Gregory Martel