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L’Université d’Ottawa perd son latin

Lors d’un de ses cours, la professeure Verushka Lieutenant-Duval a décidé d’avoir un débat sur les limites de certains mots dans notre langage. Elle a commencé par prendre l’exemple du mot « queer » pour dire qu’aujourd’hui la communauté LGBTQ+ s’en sert comme symbole de fierté. Suivant la même logique, elle fit de même avec le « N word », exprimant que les Noirs l’utilisent aussi entre eux pour s’affranchir de ce que cela portait dans leur histoire. Les étudiants ont été scandalisés par ses propos et la professeure a été suspendue.


Je n’irai pas par 4 chemins ni en suivant le vent populaire qui s’abat sur elle. Non, j’opte pour cette route à contresens plus difficile à prendre, au risque d’être le mouton noir de la mêlée. Il est bien facile de crier au racisme à chaque fois qu’une situation délicate nous laisse cette porte ouverte, mais plus exigeant de passer outre les émotions relatives à l’histoire et laisser le débat avoir lieu.


Cependant, avant d’entrer dans le cœur du sujet, laissez-moi vous dire ces trois mots : Audi alteram partem. C’est une notion que nous, étudiants de droit, avons tous apprise en première année, mais qui semble avoir fait défaut à notre administration. Mme Lieutenant-Duval n’a eu qu’une lettre d’excuse en guise de défense. M. Frémont l’a condamnée sans même vraiment l’écouter. Que pouvait-elle répondre? Elle était seule, accusée, contre une armée qui crie être victime d’un acte raciste. C’est ironique alors que la seule victime que je vois dans cette histoire, c’est Mme Lieutenant-Duval. Elle est victime d’un populisme d’inspiration américaine qui a malheureusement pris le dessus des étudiants en art de notre université. Que peut-elle répondre maintenant? Les dés sont déjà jetés, sa carrière peut-être déjà brisée. C’est avec ce goût amer que j’étudie le droit et ses principes fondamentaux au sein d’une université qui agit contre ses mêmes principes. Chers étudiants « Fauteux », êtes-vous vraiment à l’aise aujourd’hui d’étudier dans une université qui ne respecte même pas le premier droit fondamental de tout être humain accusé d’un acte répréhensible? Pour ma part, je vis un certain malaise par rapport à cela et c’est pourquoi je suis sortie de ma bulle de mi-session pour dénoncer cette injustice. Qu’elle soit en tort ou pas, les droits de Verushka Lieutenant-Duval n’ont pas été respectés et je tiens à remercier ses collègues professeurs qui l’appuient par la lettre Libertés surveillées et qui lui donnent une voix malgré tout…


Cela étant dit, M. Frémont a motivé sa décision de la suspendre en disant que Mme Lieutenant-Duval avait le choix d’utiliser ou pas le mot commençant par N et elle l’a quand même fait. Or, Mme Lieutenant-Duval a-t-elle vraiment mal agi? L’utilisation seule du « N word » est-elle à bannir en toutes circonstances? C’est cela que la principale intéressée a posé à ses étudiants à la suite de cette séance de cours et on lui en a reproché. Or, le débat mérite d’avoir lieu. Pour plusieurs, l’utilisation seule du « N word » est mala in se. Il est certes un mot délicat, à prendre avec des pinces et, quelque soit le contexte ou le cadre où on l’utilise, il faut faire preuve d’une extrême déférence. Mais, utilisé de bonne foi et à bon escient dans un objectif purement académique, je ne vois rien de mal à cela. Il y a d’autres événements tout aussi délicats et sensibles qu’on apprend à l’école dès le plus jeune âge sans que cela ne fasse la tôler comme cela. L’holocauste souligne un moment particulièrement difficile et tragique de l’Histoire de notre humanité tout comme l’a pu être l’esclavage. Dans les deux cas, le racisme et l’antisémitisme étaient tout autant inacceptables. Pourtant, malgré tout, il est important de l’enseigner dans nos écoles pour combattre l’ignorance et éviter que ce genre d’événements ne se reproduisent encore. Je comprends que plusieurs étudiants ont pu être profondément blessés par l’utilisation de ce terme qui est le reflet d’un moment si cruel dans l’histoire des Noirs. On peut reprocher à Mme Lieutenant-Duval de ne pas avoir fait preuve de la déférence qu’elle aurait dû adopter en émettant un avertissement avant de se lancer dans le sujet, mais demeure néanmoins que l’école et particulièrement l’Université est fondamentalement un lieu d’échange et de débat. La liberté d’enseignement prime sur tout sujet, peu importe son histoire et sa symbolique, et ce tant et aussi longtemps qu’elle est utilisée à bon escient et dans des buts académiques. Ce n’est pas en censurant certains mots qu’on va changer les mentalités. C’est en les assumant que les générations futures réaliseront la portée du passé et ne commettront plus (je l’espère) les mêmes erreurs. Donc, oui peut-être avait-elle le choix d’utiliser le « N word » ou pas, mais il ne faut pas oublier que c’est en censurant certains mots qu’on censure une partie de l’Histoire et qu’on étend l’ignorance.


Et M. Frémont dans tout cela a décidé de prendre le chemin le plus facile en suspendant la professeure pour ses soi-disant propos « racistes ». Quels propos racistes? Jamais Mme Lieutenant-Duval n’a dépassé les limites de cette liberté d’enseignement. Elle n’a pas promu l’utilisation du « N word » ni utilisé dans un but provocateur ou pour dénigrer un autre étudiant ; elle ne l’a fait que dans un but purement académique. Quels genres de précédents cette situation pourrait créer au sein de notre université et même des autres? Quel exemple voulait-il prouver en entachant la confiance des professeurs à enseigner ? Il a reçu plusieurs plaintes concernant le même sujet et, sans même entendre la version de la professeure, il a sévi se pliant à la volonté populaire.


Mme Geneviève Guilbault, vice-première ministre du Québec, a déclaré que l’administration de notre université « a jeté en pâture [Mme Lieutenant-Duval] à des militants agressifs qui tiennent des propos violents envers elle et les francophones ». Je la seconde, je n’aurais pas dit mieux. Jacques Frémont, étant le recteur de notre université, a un rôle de leader. Oui c’est dans son devoir d’assurer un enseignement qui respecte les normes et les valeurs de l’Université, mais aussi c’est dans son devoir de protéger ses professeurs. Lorsqu’un d’entre eux est touché d’accusation, son rôle est de voir au-delà de toute vague populiste et de regarder les faits reprochés et le comportement de la personne visée. Un bon leader n’est pas celui qui exerce toutes les volontés de la majorité ainsi se préservant des critiques, mais celui qui fait ce qui est juste, quitte à assumer le coût de la minorité. Mme Lieutenant-Duval avait besoin de lui plus que jamais, de ce leader qui aurait pu mettre un peu de raison dans cette vague-là chargée d’émotions, mais elle n’a eu qu’un leader qui rajoute de l’irrationnel dans cette eau bouillante totalement déséquilibrée.


Effectivement, notre université a perdu son latin. Ses maximes latines qui émettent des principes qui peuvent nous sembler lourds à apprendre par cœur pour un examen, mais qui nous protègent dans des situations où notre intégrité, notre réputation et notre liberté sont en jeu. Mme Lieutenant-Duval a appris à ses dépens qu’elle n’aurait pas l’appui de son administration alors qu’elle n’avait rien fait de mal.


Ceci est une opinion parmi toutes celles qui peuvent exister sur ce sujet. Vous aurez la vôtre, mais l’important, c’est que le débat renaisse et que les droits d’être entendu de la principale intéressée soient enfin respectés. Je vous invite donc à prendre un certain recul sur la situation, à ouvrir votre esprit, à vous mettre à la place de cette professeure, à vous mettre dans vos propres souliers de futurs juristes et à ouvrir les yeux sur les injustices qui se font en ce moment au sein de notre future « alma mater ».

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