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Liberté d’expression et divertissement : rétrospective de l’année 2021

C’est en analysant l’actualité que l’on se rend compte que tout droit finit toujours par avoir une certaine limite. En effet, toute société libre et démocratique doit s’assurer du maintien de l’ordre public et du bien-être des citoyens. Par conséquent, les juges doivent parfois trancher ce qui est acceptable ou non, même en ce qui concerne l’exercice d’un droit ou d’une liberté. Dans le cas d’une liberté fondamentale telle que la liberté d’expression, comment peut-on arriver à définir ce qui constitue une limite raisonnable? La dernière année nous a démontré que la réponse à cette question est aussi complexe que controversée.

Tout d’abord, il serait difficile d’argumenter que l’année 2021 n’a pas apporté de décision juridique de grande importance pour ce qui a trait à la liberté d’expression en humour. La cause Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) a fait l’objet de nombreux débats, tant du côté des citoyens québécois que dans la profession juridique. Dans cette affaire, la Commission poursuit l’humoriste Mike Ward pour un numéro lors duquel il se moque de plusieurs personnalités québécoises, dont Jérémy Gabriel, un chanteur et une personnalité publique en situation de handicap. La Commission plaide que, dans son numéro, l’humoriste porte atteinte au droit de Jérémy Gabriel à la reconnaissance de son droit à la sauvegarde de la dignité en pleine égalité, ce qui irait à l’encontre des articles 4 et 10 de la Charte québécoise.​​ La défense de Mike Ward, basée sur la liberté d’expression protégée par l’article 3 de la Charte des droits et libertés, fut rejetée au tribunal de première instance et en Cour d’appel du Québec, avant que la cause atterrisse dans les mains de la Cour suprême du Canada.

Le 29 octobre 2021, une décision est rendue. Les juges majoritaires concluent que Jérémy Gabriel n’a pas été discriminé pour son handicap, mais bien pour son statut de personnalité publique, ce qui en soi n’est pas un motif de discrimination prohibé par la Charte québécoise. Le pourvoi est donc accueilli, toutefois pas à l’unanimité. L’opinion majoritaire, formée de cinq juges dont le très honorable juge en chef Richard Wagner, diffère grandement de celle des quatre juges dissidents. Ceux qui s’opposent sont d’avis que le pourvoi devrait être rejeté puisque les propos de l’humoriste traitent directement de la situation de handicap du jeune homme et par le fait même l’article 10 de la charte québécoise peut s’y appliquer. Ainsi, cette opposition à l’intérieur même de la Cour suprême démontre très clairement l’enjeu complexe qu’est la liberté d’expression.

Outre l’arrêt Ward, d’autres enjeux liés à l’humour et à la liberté d’expression ont paru dans les médias en 2021. L’automne dernier aux États-Unis, les propos d’un très célèbre humoriste ont suscité un grand intérêt parmi la population américaine.  En effet, lorsque le spectacle de Dave Chappelle intitulé « The Closer » est apparu sur Netflix, de nombreuses critiques ont été manifestées de la part de visionneurs, groupes LGBTQ+ et même d’employés du grand diffuseur. Les propos de l’humoriste ont été qualifiés par ses critiques comme étant transphobes et homophobes. Le débat est le suivant : Les propos ont-ils franchi la limite de la liberté d’expression? Bien que le cas en question ne soit pas arrivé au Québec, il s’agit encore une fois d’un bon exemple de dilemme sur lequel nous n’avons pas fini de nous pencher en tant que société.

Parallèlement, dans le milieu du théâtre, le 9 novembre dernier, un jugement de la Cour du Québec a conclu que le fait de fumer une cigarette de sauge ne pouvait pas être considéré comme un geste artistique et ainsi être protégé par la Charte québécoise et la Charte canadienne des droits et libertés. Trois théâtres de Québec avaient chacun reçu une contravention pour avoir transgressé la Loi concernant la lutte contre le tabagisme. Ces derniers ont donc décidé de contester ces amendes en Cour. Selon les théâtres du Trident, La Bordée et Premier Acte, fumer sur la scène est bel et bien une forme de liberté d’expression protégée par le paragraphe b) de l’article 2 de la Charte canadienne et l’article 3 de la Charte québécoise. Par conséquent, cela ne devrait pas être interdit. Suite à la décision du tribunal, les théâtres concernés ont d’ailleurs décidé de porter la décision en appel. Il sera très intéressant de suivre cette affaire.

Somme toute, nous avons vu un grand nombre d’enjeux liés à la liberté d’expression et au milieu du divertissement en 2021, que ce soit du côté de l’humour ou du théâtre. Pour les années à suivre une chose est certaine, ce sujet n’a pas fini d’être au centre de l’attention.

BML avocats inc. est un cabinet d’avocats de Gatineau spécialisé en droit du travail depuis 1985 et, depuis 15 ans, il oeuvre aussi en droit civil et de la famille.

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