Il y a quelques semaines déjà, l’Institut de la statistique du Québec a publié l’enquête demandée par l’Office québécois de la langue française (OQLF). Les grands de la presse en profitèrent pour publier un grand titre : près de 63% des entreprises à Montréal ont exigé l’anglais à l’embauche. Simon Jolin-Barrette, ministre responsable de la langue française s’est rapidement prononcé sur le sujet avec un air de déception : « Je crois qu’on doit faire un effort particulier à Montréal. Parce que Montréal doit être un vaisseau amiral». En plus de faire un semblant d’appel à l’action, ces propos demandent à être mis en contexte.
Tout d’abord, la ville de Montréal est pionnière au Canada en matière de bilinguisme par sa nature même. Les racines historiques de la ville tissent l’amalgame linguistique du pays. En revenant sur l’histoire du Québec, on réalise qu’à partir de l’établissement des colons français en Nouvelle-France, se développe une société à caractère francophone. Celle-ci est chamboulée à partir des années 1760 lorsque la Nouvelle-France passe entre les mains de la Grande-Bretagne, ce qui ouvre la porte aux communautés anglophones pour venir s’installer au Québec. À Montréal, cohabiteront dorénavant les deux cultures linguistiques : celle francophone et celle anglophone. En 1867, la Province of Canada, dont le Québec fait partie, se lie à la Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick pour créer la fédération canadienne par l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique. Faire partie d’une fédération permet au Québec de garder ses caractéristiques identitaires comme État fédéré tout en participant à un partage de ressources, de valeurs et d’idéaux au niveau fédéral. La Chambre des communes a d’ailleurs tenu à rappeler le rôle du Québec au Canada en le déclarant « nation au sein d’un Canada uni » en 2006.
En fin de compte, Montréal tient de grands moments du bilinguisme fédéral entre les pierres qui composent son pavé. Le Québec étant l’unique province canadienne dont la seule langue officielle est le français et Montréal étant sa seule métropole, celle-ci a le devoir de représenter les francophones canadiens sur le plan fédéral. Le Québec a accueilli ce rôle en 1977 avec l’adoption de la Charte de la langue française, communément nommée la Loi 101, qui régule certains aspects de la vie au Québec dont la langue de commerce, la langue de travail et la langue d’éducation. De plus, elle réaffirme la position du français comme seule langue officielle au Québec.
Aujourd’hui, la province travaille sur une réforme de la Loi 101. Simon Jolin-Barrette, ministre de la justice au Québec, est celui qui a été désigné par le premier ministre pour diriger cette révision et quelques partis fédéraux ont déjà annoncé leur support partiel. En parallèle, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, s’inquiète de ces possibles changements.
Effectivement, peu après que le ministre Jolin-Barrette reçu le titre de responsable de la Langue française en septembre 2019, il se prononça sur la possibilité d’élargir la Loi 101. Il soutient que « la langue française est un fondement de l’identité québécoise » et qu’« on doit s’assurer de la protéger, de la préserver ». Le ministre prévoit redonner au français son caractère de langue normale et habituelle dans la société québécoise en adoptant des mesures « concrètes » et « costaudes ». L’une de ces mesures serait d’étendre l’application de la Charte de la langue française aux entreprises à juridiction fédérale, ce qui inclut les banques, les entreprises ferroviaires et maritimes et les entreprises du secteur des télécommunications. Au niveau fédéral, le Bloc québécois, le Nouveau Parti démocratique et le Parti conservateur ont déjà manifesté leur support de l’assujettissement de ces entreprises à la Loi 101 sans même avoir eu de précisions sur l’exécution de cette mesure.
En réponse à celle-ci, le commissaire aux langues officielles exprime sa méfiance. Raymond Théberge dit préférer attendre le dévoilement du plan d’action avant de se prononcer sur le projet, mais affirme que « c’est important de reconnaître qu’on a deux langues officielles et qu’on a besoin de communautés fortes, que ce soit les communautés de langues officielles à l’extérieur du Québec ou au Québec ». Le commissaire aux langues officielles semble craindre que les autres provinces suivent le Québec et qu’elles imposent l’anglais dans toutes les entreprises de juridiction fédérale sur leur territoire.
Les propos de M. Théberge paraissent cohérents avec la volonté du gouvernement fédéral en matière de protection du français. En effet, lors du dernier discours du trône, la gouverneure générale a affirmé que « le gouvernement du Canada doit également reconnaître que la situation du français est particulière. […] Le gouvernement a donc la responsabilité de protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec ». Ces objectifs font écho à ceux du ministre Jolin-Barrette.
Effectivement, les intentions du ministre responsable de la Langue française restent en harmonie avec les idéaux fédératifs. Simon Jolin-Barrette a même tenu à confirmer que son intention est de démontrer que la préservation de la langue française est possible pour le Québec sans donner raison aux indépendantistes. Il rappelle l’importance de la cohésion sociale par ces paroles : « Mon but n’est pas d’opposer les anglophones aux francophones. Je suis conscient de la sensibilité de la communauté anglophone. Le plan que je vais déposer ne va pas limiter ses droits ou ceux de ses institutions. Le mélange des langues, c’est très bien, mais il faut clairement établir une chose : la langue d’usage, la langue commune et la langue d’intégration, surtout des personnes immigrantes, c’est le français. Et ça, c’est non négociable». Ces propos, quoique initialement assez ouverts, terminent sur un ton qui implore la sévérité, mais qui réveille l’impatience d’en savoir davantage.
Jusqu’à maintenant les informations qui ont été révélées sur le projet ont été minimales quoique Simon Jolin-Barrette est aujourd’hui prêt à dévoiler son projet de réforme de la Loi 101. Or, il attend le feu vert du premier ministre François Legault qui n’en a dit aucun mot jusqu’à présent. Enfin, le ministre Jolin-Barrette confirme que ce n’est qu’une question de semaines avant le dévoilement du projet, mais il rajoute, comme tout bon politicien se doit de le faire, que « les mois sont composés de semaines, les années aussi ». Bref, il ne reste plus qu’à concrètement découvrir le projet afin de proprement évaluer si son retentissement sur la métropole québécoise sera fort ou très fort.