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Actualité Droit de l'environnement

L’environnementalisme est-il un humanisme?

Mes pas s’enfoncent timidement dans un tapis de neige; quelques brindilles se cassent; un écureuil, au loin, cabriole de tache en tache de lumière. Pourtant, de cela, je n’entends rien : seulement le grondement sourd, assourdissant et continu d’automobiles et de camions.

Je suis au Centre de la nature des 4 saisons, maigre quadrilatère vert près de l’autoroute 20, récupéré depuis quelques années des mains du ministère du transport. Celui-ci, en l’ayant fait un dépotoir, y avait inadvertamment semé l’abondante broussaille qui lui vaut aujourd’hui conservation. On est le 15 mars 2019, et je me demande si certaines des fourgonnettes qui défilent en rugissant renferment de mes amis, en direction de Montréal et de la manifestation mondiale sur le climat. Nous ne sommes pas à l’école, question d’un vote de grève remporté haut la main.

Borné à mon sentier, j’ai l’impression de visionner des diapositives de nature : mes yeux reproduisent, dans un fouillis d’arbres anonymes (chênes?, bouleaux?, érables?, frênes?), des clichés de Planet Earth et les formes fastidieuses d’une description romanesque. Je n’ose pas quitter le chemin battu, car, après tout, je n’ai alloué qu’une trentaine de minutes à ma promenade. Personne ne foulera les poutres précaires des troncs tombés et laissés enchevêtrés dans les bosquets éloignés. Personne n’osera grimper leurs confrères bien dressés. Le musc et la bonne odeur d’épinettes se dissiperont lentement, flottant inhumés au-dessus d’une neige lisse. C’est une nature morte. Et c’est par elle que je m’exerce, de temps en temps, à ce métier d’être en santé que cultivent si religieusement certains individus.

Je suis las et je réfléchis. Mes environs, vert et blanc, m’apparaissent aussi gris et aussi artificiels que l’autoroute; seul, l’autoroute m’a l’air moins étrange. L’environnement, je le visite, je le veux, parce qu’on dit l’oxygène meilleur que le CO2 pour mes poumons, pas pour ceux de la planète. Je marche en forêt, car on dit le silence bon pour le stress : calmer ma nature, pas la nature. Mais l’écrasement de mes pas : fait-il sauter un battement au cœur de cet écureuil qui fuit? Finit-il à jamais la vie d’une jeune pousse?

Je retourne, et je rumine ces souffrances du jeune Werther :

« … la plus innocente promenade coûte la vie à des milliers de pauvres insectes ; un de tes pas ruine les laborieux édifices des fourmis, et enfonce tout un petit monde dans un injurieux tombeau. Ah ! ce qui me touche, ce ne sont pas les grandes et rares catastrophes du monde, ces inondations, ces tremblements de terre, qui engloutissent vos cités ; ce qui me ronge le cœur, c’est la force dévorante qui est cachée dans la nature entière, et n’a rien produit qui ne détruise son voisin et ne se détruise soi-même. »

Le soir, aux nouvelles, les rues regorgent de jeunes aux joues et aux pancartes incendiaires.

–          Sauvons la nature! Sauvons l’environnement!

Soyons franc : sauvons l’Homme. N’y a-t-il d’environnement tant et aussi longtemps qu’il y a un individu à environner? Idem pour la nature : tous les chemins mènent à l’Homme. Si l’espèce humaine fait partie de la nature, alors, qu’elle extermine océans et forêts à son profit n’abîme pas la nature : c’est plutôt processus naturel. Et si l’Homme peut détruire la nature (et la sauver) si allègrement, ne serait-ce parce qu’il lui est supérieur, étranger? Seuls les dieux et les tyrans détiennent un pouvoir de vie et de mort.

Il n’est pas sans dire que notre koan préféré nous demande si l’arbre qui chute dans une forêt, vierge d’âmes humaines, fait bel et bien un bruit. Nous évitons la réponse, car nous la connaissons : l’arbre qui tombe ne fait du bruit que pour nous et, pancartes à l’appui, par nous. La nature invisible et insensible nous est muette. Combien d’avancées en matière d’hygiène lors du dernier siècle! Combien d’animalcules éradiquées de notre peau, de nos cheveux, de la Terre. Quel confort pour l’Homme; mais qui poursuivra Purel pour écocide? L’environnementalisme, en tout cas, c’est bien un empirisme. Et Werther peut bien souffrir…

Cet article se veut l’amorce d’une trilogie dédiée au jour de la Terre. Au cours de la session, j’explorerai les racines de l’environnementalisme, depuis le transcendantalisme de Muir et Thoreau jusqu’à l’antispécisme de Singer. Le but sera de déterrer l’anthropocentrisme présent au sein du mouvement, afin d’en favoriser la portée en évitant certains écueils du double-discours. Je vous invite chaleureusement à participer à ce dialogue au sein de la section « commentaires ».

En effet, si cette réflexion ne doit pas être lue tel un manifeste climatosceptique, elle ne doit surtout pas passer pour du pelletage de nuages. Les mots ne sont jamais vains, ni les idées, abstraites. Ce sont des guides et, dans le cas présent, des tuteurs à un mouvement en pleine croissance.

Par Gregory Martel

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