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Le Québec n’est pas l’Alabama du Nord

*Cette chronique d’opinion n’engage que son auteur, et non le Flagrant Délit.

Vous l’avez dit un jour: «In my experience as a brown guy at a bilingual university on the Quebec-Ontario border, there is plenty of racism, and more often than not when it speaks to me the first word is Bonjour». Et bien, je suis aussi un peu comme vous, un «brun» qui vit à la frontière du Québec et de l’Ontario. Laissez-moi vous dire, — autant en tant qu’un fier Québécois qu’un individu qui a résidé dans cinq pays sur quatre continents et visité des dizaines d’autres — il est certainement triste que les conversations commençant par «Bonjour» vous laissent dévalorisé. 

«Alabama du Nord», dites-vous? Je pourrais vous dire que cette nation de plus de 8 millions d’habitants abrite des individus de presque toutes les origines ethniques, nationales, culturelles, religieuses et linguistiques imaginables. Je pourrais vous dire que 1 Québécois sur 7 est né à l’extérieur du Canada, en grande partie grâce à l’un des systèmes d’immigration les plus accessibles et les mieux administrés au monde. La population née à l’étranger de l’Alabama, en revanche, se situe à environ 3,5%.

Je pourrais vous rappeler que le Québec est la seule juridiction française en Amérique du Nord. Que chaque jour, cette nation de seulement 8 millions d’habitants, entourée de plus de 350 millions de personnes qui partagent une langue et une histoire différente, est engagée dans une lutte perpétuelle pour préserver sa culture et son patrimoine distinctif. Le fait que nous réussissions à lutter sans porter atteinte – voire enrichir – aux droits et aux traditions de tous les Québecois témoigne peut-être autant de la résilience de notre nation que d’une simple réalité: des siècles de colonisation, de discrimination, de marginalisation et d’oppression signifie que les Québécois et les francophones connaissent parfaitement les tribulations de la vie en minorité, et donc à savoir l’impératif moral de défendre, d’accepter et d’assurer la prospérité de tous.

Je pourrais également souligner le fait qu’un anglophone – que ce soit sur l’île de Montréal ou à Val-D’Or – peut recevoir des services médicaux, éducatifs, judiciaires, sociaux et gouvernementaux dans sa langue maternelle. Le système n’est peut-être pas parfait, mais avant de dénoncer ses défauts, pensez peut-être au système dont disposent les francophones hors Québec. Imaginez un instant le tollé public qui s’en suivrait si un anglo-québécois interagissant avec la municipalité d’une petite ville de la Gaspésie – n’ayant aucun droit linguistique en vertu de la loi fédérale – était soumis au même traitement que les francophones qui tentent d’exercer les droits qui leur est accordé en vertu de la Loi sur les langues officielles auprès de l’ASFC ou de la GRC presque partout au Canada anglais.

Mais assez parlé de nous. Permettez-moi de m’adresser à vous un instant. Aujourd’hui, vous dénigrez notre nation, qualifiant notre culture de raciste tout en nous comparant à un État dont la Constitution – jusqu’à l’année dernière – déclarait que les enfants blancs et non blancs devaient fréquenter des écoles différentes. Deux décennies plus tôt, vous avez levé la main droite et volontairement prêté serment à Sa Majesté la reine Elizabeth II, ses héritiers et successeurs. Cette institution était la plus grande force coloniale du monde il n’y a pas si longtemps, contrôlant 25% des habitants et des terres de la planète. N’oublions pas que le racisme, l’assujettissement et l’esclavage étaient au cœur du «succès» de l’empire britannique. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que dans le contexte nord-américain, cette institution à laquelle vous avez juré d’être un sujet fidèle a déporté les Acadiens, nous a privés de nos traditions juridiques et a conquis par la force militaire brutale le territoire qui constitue aujourd’hui le Québec.

Le Québec n’est pas parfait : quiconque aura passé cinq minutes sur notre territoire verra que nous le reconnaissons et nous cherchons à le corriger. Mais on peut facilement soutenir que nous avons effectivement une avance par rapport à d’autres endroits, y compris le reste du Canada. À tout le moins, la réalité démontre que nous ne sommes certainement pas pires que les juridictions qui nous entourent. Alors, pardonnez-moi si j’ai du mal à tirer les leçons de ceux qui vivent dans des juridictions dont l’histoire est celle qui incarne – sous forme de discrimination contre la nation québécoise et bien d’autres – ce que nous sommes injustement accusés d’être.

Alors, la prochaine fois que vous sentirez que le racisme commence par le mot «Bonjour», réfléchissez peut-être un instant: est-ce vraiment du racisme ou simplement de la frustration et de la mélancolie refoulées que les Québécois demeurent, à bien des égards, des citoyens de seconde zone dans leur propre pays? Que, malgré nos contributions monumentales à cette Confédération depuis 154 ans, chaque jour, des individus comme vous nous nous critiquent de deux poids, deux mesures et en ce faisant nous donnent l’impression que nous n’appartenons pas pleinement.

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