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Droits et libertés

Le passeport vaccinal c. la Charte

Le soir du 28 octobre, la discussion sur le panel politique de Radio-Canada portait sur le passeport vaccinal, notamment la vaccination des fonctionnaires fédéraux. Dans un guide fourni par le Conseil du Trésor, il est indiqué que les gestionnaires n’auraient pas à questionner la validité d’une exemption religieuse au vaccin d’un fonctionnaire. Chroniqueuse Hélène Buzzetti parle d’une « porte ouverte béante » pour d’autres exceptions. Paul Wells ajoute alors que l’exception est là « parce que nous avons une Charte des droits et libertés au Canada. » Mais en quoi la Charte concerne-t-elle le mandat sur le vaccin?

C’est une question que plusieurs juristes à travers le pays se posent. D’ailleurs, les délibérations sont déjà en plein essor dans les trois plus grandes provinces du pays. Le 7 septembre, le Canadian Constitution Foundation conteste le passeport du gouvernement de la Colombie-Britannique en Cour. Le 18 octobre, ce sera le tour du Justice Centre en Ontario. Enfin, le 27 octobre, Me Hans Mercier plaide le retrait du passeport vaccinal et la fin de l’urgence sanitaire au Québec.

Primo, pour comprendre le débat sur le passeport vaccinal, il faut déjà distinguer entre la position contre le passeport vaccinal et la vaccination elle-même. Ces deux positions ne sont pas pareilles. Refuser un traitement médical est un choix personnel et mandater un traitement médical sur une échelle nationale est un choix de société. Dire que tous ceux qui sont contre le passeport vaccinal sont en fait contre la vaccination est non seulement faux, mais aussi néfaste à la compréhension du public à ce sujet.

Deuxio, il ne faut pas non plus se perdre dans les débats politiques. Certains partis ont un avantage politique à promouvoir un mandat de vaccination strict alors que d’autres non. Cela dit, ces différences existent et existeront indépendamment de ce qui est écrit dans la Charte. Pour les juristes, les chicanes dans les coulisses du pouvoir sont donc sans importance en ce qui concerne le passeport vaccinal et la Charte.

Il faut également comprendre que la Charte canadienne s’applique uniquement à l’État. Un employé de l’État peut donc poursuivre son employeur pour une discrimination quelconque, mais l’employé d’une entreprise privée ne peut pas faire de même avec le sien.

En principe, la vaccination obligatoire n’est pas sans précédent. Notamment, les enfants doivent recevoir certains vaccins pour aller à l’école. Ces doses sont ensuite inscrites dans le carnet de vaccination. Cela inclut l’immunisation contre des maladies comme la rougeole ou l’hépatite A. Éditeur junior du McGill Law Journal, Aaron Gao, explique donc que le passeport lui-même « semble justifié sous l’article 1 de la Charte ou son homologue québécois. » L’article 1 précise que tous les droits dans la Charte peuvent être assujettis à des limites raisonnables. Selon les circonstances, protéger la Santé publique pourrait être une de ces limites ou non; c’est aux tribunaux de trancher. Dans les faits, ce n’est pas le passeport lui-même qui pose problème, mais plutôt les exemptions au vaccin.

Justin Trudeau disait lui-même que toute exception à la vaccination serait « limitée » et « difficile à obtenir. » Comme l’histoire des fonctionnaires peut en témoigner, ce n’est pas aussi simple que le premier ministre l’aurait voulu. Dans ce cas-ci, c’est l’article 2 de la Charte qui est concernée. L’article 2 prône plusieurs libertés dont la liberté de religion. Il est très difficile, voire même impossible, de déterminer si une exemption religieuse est valide ou non.

Certaines provinces, notamment la Colombie-Britannique, ne font aucune exception au vaccin pour des raisons médicales. Or, dans la lettre de la Canadian Constitution Foundation au gouvernement de la province, des médecins ont explicitement recommandé à certains patients de ne pas prendre la deuxième dose du vaccin à la suite des effets secondaires suivant la première. Le passeport viendrait alors porter atteinte à la vie, la liberté et la sécurité de ces individus sous l’article 7 de la Charte. Ceux concernés se trouveraient alors discriminés arbitrairement dû à leur physionomie particulière.

De même, la discrimination sous tout autre prétexte est couverte sous l’article 15 de la Charte. L’article 15 précise notamment la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. Mis à part la religion, la discrimination principalement concernée ici est la déficience physique. En effet, si un individu a une condition préexistante que le vaccin pourrait venir aggraver, imposer le vaccin sur lui irait à l’encontre de l’article 15 et l’article 7 aussi selon les circonstances.

Au-delà des impacts sur les individus qui refuseraient de se faire vacciner, il faut également estimer l’ampleur des dégâts qu’impose le vaccin sur peine de congédiement pourrait causer à la machine étatique. Les professions du secteur public incluent les professeurs, les médecins, les chauffeurs de bus et plein d’autres, dont plusieurs pourraient perdre leur emploi si le passeport est imposé. D’ailleurs, les gouvernements, autant au provincial qu’au fédéral, continuent de repousser la date de la vaccination obligatoire pour les employés de l’État. Les effets sur le secteur public viendront nier des services essentiels pour la population. Les droits fondamentaux de plus d’un seraient alors touchés d’après la Charte. On a beau ne pas vouloir se faire soigner par un médecin non vacciné, mais si des centaines de médecins étaient congédiés alors que le système de santé craque, ce serait une véritable catastrophe.

Pour le mot de la fin, je dois une fière chandelle à une juriste que je respecte beaucoup parce que l’idée suivante n’est aucunement la mienne. Durant une discussion au tout début des contestations judiciaires contre le vaccin, 1L LL.B. à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, Si Wen Shen, m’avait alors demandé quels étaient les articles de la Charte concernés pour les exemptions. Une fois qu’elle s’est familiarisée avec l’enjeu, elle m’a posé la question rhétorique: « Wow, devine quels articles la clause nonobstant permet d’en déroger de la Charte? » En effet, la clause nonobstant peut permettre un gouvernement provincial de déroger de l’article 2, et 7 à 15 de la Charte. Étant formé dans le monde politique, un tel cauchemar constitutionnel semble complètement insensé pour moi, mais la remarque de ma brillante collègue de l’UdeM laisse néanmoins de la matière à réflexion.

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