Si son chemin l’a menée à la tête du Parti vert du Canada, Mme Paul n’a pas oublié ses racines de juristes qui l’ont aidée à avoir une belle carrière, mais elles l’ont surtout aidée à poursuivre ses rêves. Si son chemin l’a menée à la tête du Parti vert du Canada, c’est pour réaliser ses rêves et son combat contre le réchauffement climatique et pour une meilleure justice sociale au pays. En entrant dans la Fac de droit de l’Université d’Ottawa, elle ne savait pas trop où aller et voilà que le 3 octobre dernier, elle est devenue la première femme noire et la première femme juive à diriger un parti fédéral. Le lundi 2 novembre, j’ai eu le grand honneur de m’entretenir avec elle et voici ce qu’elle avait à dire à ceux qui voudraient suivre ses traces…
P : Cela fait aujourd’hui un mois que vous êtes à votre nouveau poste et selon ce que vous avez pu voir jusqu’à ce jour, pouvez-vous me dire qu’est-ce que vous allez apporter de plus pour votre parti au cours des prochaines années que ceux qui vous ont précédée?
A : Je pense que c’est toujours convivial quand il y a une nouvelle cheffe, c’est toujours une opportunité de penser une nouvelle conversation avec les gens. Elizabeth May était notre cheffe pendant beaucoup d’années et elle a fait un excellent travail, mais quand il y a une nouvelle cheffe, c’est un moment de renouvellement, de transformation. Oui, j’ai eu cette opportunité depuis le début octobre de faire plus d’une centaine d’entrevues et de communiquer nos messages clés en ce moment et nous sommes dans une période sans précédent en pandémie, alors c’est une opportunité de communiquer surtout nos messages sociaux et à compléter notre filet social.
P : Justement, on est effectivement dans un contexte de pandémie, mais aussi on est dans un contexte où on a actuellement un gouvernement minoritaire. Une élection peut arriver à tout moment. Depuis la dernière élection d’octobre 2019, comment le Parti vert a-t-il évolué pour y faire face?
A : Bon… déjà nous avons une nouvelle cheffe! Moi, j’étais candidate en 2019 dans la circonscription de Toronto-Centre et je parlais des mêmes enjeux qui nous intéressent vraiment en ce moment. Par exemple, je parlais du manque de logement abordable, du manque à l’accès universel à l’éducation postsecondaire, je parlais du besoin d’une assurance médicaments universel, je parlais de l’épidémie d’opioïdes, de décriminaliser les drogues et de créer accès à des drogues sécuritaires et d’un besoin d’avoir un revenu minimum garanti. Donc, tout cela pendant la pandémie, c’est clair qu’on a vécu ces politiques. Nous aurions pu être beaucoup plus résilients, beaucoup plus à faire face à ce moment. Les choses qui ont changé ce ne sont pas nos politiques sur la crise climatique, ce sont vraiment nos politiques sociales.
P : Parce que c’est là que souvent que le Parti libéral vient chercher aussi des électeurs, donc vous voulez mettre plus l’avantage sur le social pour la prochaine élection au même niveau que l’environnement
A : Oui, bon… À mon avis, il y a deux grands défis en ce moment et il faut attaquer les deux. Ce n’est pas possible d’avoir une justice climatique sans justice sociale et non plus à l’envers. Donc, il faut compléter notre filet social, c’est absolument essentiel! Parce que nous avons vu comment les gens ont directement tombé dans une crise quand la pandémie est arrivée, car nous n’avions pas eu un filet social suffisamment complet et robuste pour protéger tous les gens au Canada. Et l’autre, c’est de combattre la crise climatique parce que c’est encore une crise, ça n’a pas pris une pause et il faut utiliser les prochains mois pour créer un plan qui comble aux besoins des sciences et aussi un plan pour arriver là. Ce sont les deux grands défis de notre époque et il faut absolument les leçons de ce moment pour vraiment accélérer et augmenter nos politiques pour satisfaire à ses besoins.
P : Je vais passer à la troisième question. Donc, vous dites que vous vous étiez présentée durant l’élection de 2019 à Toronto-Centre et vous, vous êtes réessayée lundi dernier (26 octobre 2020), durant l’élection partielle pour entrer aux Communes, mais vous avez été défaite par votre vis-à-vis libérale. Vous avez quand même récolté près de 33%, des voix 32.7% pour être exact, n’est-ce quand même pas un signe encourageant pour vous, pour aller plus loin?
A : Oui, absolument! On avait eu que 3 semaines pour monter notre campagne et cette circonscription le plus sécuritaire pour le Parti libéral (PLC). Ils ont représenté cette circonscription pendant 27 années consécutives. Alors, d’avoir un résultat comme le nôtre en 3 semaines dans le contexte d’une pandémie et où il y avait une candidate étoile pour le PLC, c’est un très bon signe! Et, pour moi cela veut dire deux choses : les gens dans cette circonscription, ils disent stop! Ils disent que ça suffit de ne pas avoir leurs besoins représentés par leur représentant au fédéral. Et, le résultat veut dire aussi que les gens sont prêts à faire de différents choix, que même si le Parti vert n’était pas très bien connu, que même si moi, je n’étais pas très bien connue, qu’ils sont prêts à voter pour le parti dans de grands nombres et ça, c’est vraiment encourageant.
P : Donc, en ce moment, vous pensez que les électeurs sont en train d’enfin entendre votre message, le message du Parti vert, mais vous, serez-vous ouverte à regarder d’autres circonscriptions peut-être moins château fort libéral ou conservateur, des circonscriptions encore plus ouvertes à entendre mieux le message de votre parti?
A : Oui, notre message, dans l’élection partielle, c’était vraiment très positif qu’on peut apporter n’importe où au pays. Pour moi, j’ai fait le choix de me présenter dans l’élection partielle de Toronto-Centre exactement parce que je savais que j’étais la candidate en 2019 et que je n’avais pas le temps de monter une campagne. C’était clair que ce serait beaucoup plus facile et beaucoup plus efficace si moi j’étais notre candidate, mais aussi le Parti vert, nous pensons d’abord au premier rang, aux personnes. Moi, je ne voulais pas abandonner les personnes de Toronto-Centre. Je savais que ça allait être important d’avoir un autre choix et un bon choix pour les résidents parce qu’il y a beaucoup de besoins très urgents dans cette circonscription.
J’avais toujours promis aux membres du Parti vert et à notre leadership que si jamais j’avais la chance d’être élue comme cheffe que je serai prête à me présenter à d’autres circonscriptions alors maintenant que l’élection partielle est terminée, nous allons parler des options et en considérer, mais nous n’avons pas encore décidé.
P : Oui et on a hâte de voir cela! Sinon, qu’avez-vous à dire sur vous, Annamie Paul, à nous en tant qu’électeurs, mais aussi, et surtout à nous, en tant que futurs juristes? Là, on lâche un peu la politique!
A : Oui haha oui, mais il faut… bon pour moi, je n’ai aucun regret d’avoir fait mes études en droit. C’est pour moi… Quand je suis entrée dans la Faculté de droit, je ne savais pas exactement ce que je voulais faire, mais j’avais un énorme instinct que ce serait une bonne préparation pour beaucoup de professions, à beaucoup de différentes boîtes de services publiques. Et, l’Université d’Ottawa, la Faculté de droit surtout est excellente à préparer les étudiants pour des carrières non traditionnelles dans le droit. C’est absolument le cas! Moi, je retourne toujours vers mes leçons, mes études de droit pour une excellente préparation pour mon travail. Je sais que je suis très reconnaissante. Je sais que c’est extrêmement difficile maintenant pour beaucoup d’étudiants. Quand moi j’étais étudiante et c’était il y a une vingtaine d’années, ce n’était pas très cher d’étudier. Les frais étaient le même pour les études en droit que pour les études dans la Faculté des arts. Alors, c’était possible de travailler l’été, d’avoir un travail à temps partiel et de payer ses études sans entrer en dettes…
Maintenant, je sais qu’il faut vraiment considérer l’utilité du diplôme parce que ça coûte très cher et, ça, c’est dommage. Ça veut dire qu’il y a beaucoup de gens comme moi qui n’auraient pas pu faire leurs études en droit. C’est une excellente préparation pour beaucoup de travail, surtout si vous êtes intéressés par les affaires publiques. Ça, c’est absolument clair et il faut reconnaitre que les étudiants qui n’entrent pas dans une pratique de droit traditionnelle, qu’il y a une vraie valeur de société. Il y a beaucoup de nos politiciens, de nos leaders dans les sociétés civiles, beaucoup de ces gens ont fait leurs études en droit. Il faut que ça reste possible pour des gens qui ne veulent pas entrer dans de grandes boîtes, d’étudier sans entrer dans une énorme dette.
P : Justement, vous avez fait le pont avec mon autre question. Vous êtes de ceux qui ont de l’expérience dans les deux domaines puisque vous avez fait de la pratique avant à Toronto et par vos deux expériences, que direz-vous à un jeune étudiant en droit qui compte s’impliquer en politique?
A : Il faut commencer dès maintenant! Notre parti cherche des jeunes, pas que pour devenir membres, mais aussi assumer des rôles de leadership dans notre parti. En fait, notre président est une personne qui, je crois, à 30 ans et dans ma campagne pour être cheffe du Parti vert, beaucoup de nos postes clés étaient des jeunes. Notre chef de notre équipe de politique, notre chef pour notre équipe de réseaux sociaux aussi, beaucoup de leaders de notre équipe étaient des jeunes, des étudiants en fait! Alors, s’il y a des jeunes qui veulent s’impliquer dans la vie politique de notre pays, c’est très bien de commencer dès maintenant de participer soit dans les politiques organisées, devenir membre d’un parti, mais aussi, moi je crois que la politique est aussi autre que la politique organisée des partis politiques. La plupart de nos mouvements sociaux en ce moment sont dirigés par des jeunes. Alors, il ne faut pas hésiter. Et, moi, à l’époque, en tant qu’étudiante, je faisais partie de beaucoup de mouvements sociaux. Il y avait des membres de la Faculté qui sont présentés pour être nos élus comme conseillers dans les gouvernements municipaux. Donc, il ne faut pas hésiter, il y a de la place pour les jeunes qui s’intéressent dans la vie politique.
P : Vous êtes avocate de formation. Vous avez su avoir une carrière aussi brillante que vos ambitions. Un exemple pour nous tous et particulièrement pour nous, les étudiants, qui vous regardons aller dans le même sens sur la scène politique. Comment êtes-vous arrivée où vous êtes aujourd’hui? Quel a été votre secret pour qu’on puisse s’inspirer?
A : S’il y a un secret, c’est vraiment que j’ai, le plus que possible, décidé de poursuivre mes intérêts. Comme j’ai dit, bien des choses ont changé. Moi, j’ai réussi à payer toutes mes études moi-même. Mais, grâce à de bons emplois pendant l’été. J’ai travaillé pour de grandes boîtes à Toronto pendant les étés pendant la Faculté de droit et j’avais toujours des emplois à temps partiel pendant les années scolaires. Mais, j’ai réussi à payer toutes mes études sans dettes alors ça, déjà, ça a ouvert des possibilités pour moi. Je n’avais pas de dettes à payer, mais j’ai toujours essayé de poursuivre mes intérêts même si ça n’avait pas apparu très logique aux autres. Par exemple, j’ai travaillé deux étés dans une grande boîte à Toronto et j’ai décidé de les quitter pour faire les stages du barreau dans un endroit beaucoup plus petit. Moi et mon mari, nous avons quitté Toronto pour retourner faire des études supplémentaires aux États-Unis. J’ai fait beaucoup de choses et c’était toujours pour poursuivre mes intérêts. Et aussi, moi, je suis mère et je voulais aussi un travail qui me laissait faire les deux et avoir un équilibre. Alors, le plus que possible même si ce n’est pas clair la destination, j’encourage toujours les étudiants et les jeunes de poursuivre leurs intérêts parce qu’on ne sait jamais où ça va mener. Dans mon cas et aussi dans le cas de mon mari, on s’est rencontrés à la Faculté de droit. Lui, par contre, il a commencé dans une grande boîte dans la section de commerce à Toronto. Il a quitté ça pour aller faire un stage presque non rémunéré à l’ONU pour 6 mois. Puis, il est retourné faire des études. Il a fait un « master » en droit aux États-Unis, puis il est allé travailler pour une ONG. Et, maintenant, il dirige l’IFIT (Institute for Integrated Transitions). C’est ce type de chemin que j’espère que plusieurs étudiants de droit vont prendre parce que c’est plus intéressant et plus satisfaisant.
P : Exactement, c’est en faisant ce qu’on aime qu’on exploite son plein potentiel…
A : Oui, c’est ça! Il y a des gens qui sont très satisfaits de travailler dans les grandes boîtes de droit, dans les grandes villes. Aaah! Ils sont très contents. J’ai des amis comme cela, c’est excellent, mais il faut aussi d’autre, ce n’est pas l’unique destination, ce n’est pas le seul chemin à prendre. Nos compétences et connaissances qu’on a apprises en tant qu’étudiants de droit sont très transportables, sont très transférables. On peut l’utiliser dans des centaines de différents contextes, donc j’espère que les étudiants vont continuer de garder un sentiment que toutes les possibilités sont ouvertes à eux.
P : Totalement et à s’ouvrir l’esprit. Il n’y a pas juste les grands cabinets… Vraiment, le droit touche à tout et c’est pour cela que moi-même j’ai été en droit. C’est un domaine qui en touche plusieurs autres et c’est sûr que je vais trouver ma voie là-dedans.
A : Oui, absolument, oui! Parce qu’on apprend comment écrire très bien. On apprend comment penser de manière critique, de manière stratégique. On apprend comment organiser nos idées, comment communiquer. Tout ça, comment faire de bonnes recherches, comment investiguer. Tout ça, c’est excellent, c’est une boîte à outils qu’on peut transporter partout dans la vie et, ça, c’est vraiment le cas pour moi!
(Fin de l’entrevue)
Je tiens encore à remercier Mme Paul de m’avoir accordé cette superbe entrevue, de nous avoir partagé ses idées, ses projets et ses précieux conseils qui outilleront j’espère de nombreux étudiants. Parfois, on fait nos choix de façon sécuritaire et stratégique, mais ce que je retiens d’Annamie Paul, c’est qu’il faut faire un peu plus confiance à notre instinct et d’avoir le courage de sortir des voies traditionnelles pour réellement suivre ce que nous dit à l’intérieur, la voix de notre cœur.
Être perdu peut nous ouvrir des portes et des possibilités inattendues finalement…