Dix heures… c’est le temps d’une bonne nuit de sommeil. Le temps de se réveiller, prêt à partir à la conquête d’une nouvelle journée. C’est également le temps moyen avant qu’une femme soit assassinée au Salvador. Amnistie Internationale a d’ailleurs déclaré qu’il s’agissait du pays le plus dangereux pour être une femme.
Je commencerai mon article par une certitude : si vous ouvrez un dictionnaire Le Petit Robert publié en 2014, malgré vos efforts de recherche herculéens, vous ne pourrez pas trouver la définition du mot « féminicide » … Rien d’anormal, puisqu’il n’y a fait son entrée qu’à partir de la version de 2015. Assez récent, non ? On pourrait se demander quelle est la différence entre un homicide et un féminicide. En fait, le terme « féminicide » fait référence au meurtre d’une femme en raison de son sexe. Pour faire histoire courte, le mot « féminicide » apparaît pour la première fois dans les années 1992, pour donner suite à la publication de l’ouvrage Femicide, The Politics of Woman Killing par deux sociologues américaine et britannique Jill Radford et Diana Russell.
Figurez-vous que le féminicide ne se trouve à ce jour ni dans le code pénal français ni dans celui canadien. C’est plutôt en Amérique latine que son usage est le plus utilisé comme circonstance aggravante dans un cas d’homicide. Il fait, d’ailleurs, maintenant partie intégrante du système de justice de dix-huit pays, principalement d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. Parmi ceux-ci, on compte notamment le Mexique, le Guatemala, le Salvador, le Costa Rica, le Pérou, le Chili, la Colombie et l’Argentine. Il va sans dire que dans ces pays du globe, la violence envers les femmes atteint des niveaux assez élevés. On doit l’ajout du féminicide dans le Code pénal à une convention tenue en 1994 au Brésil dans la ville de Belém do Pará. Il s’agit plus précisément de la « Convention interaméricaine pour la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme », aussi nommée la « Convention de Belém do Pará ».
Revenons au Salvador, ce petit pays partageant sa frontière avec le Guatemala et le Honduras. Il serait logique de croire qu’avec l’ajout du féminicide dans le Code pénal, les meurtres commis envers les femmes seraient traités par le système de justice de manière à punir davantage ce crime et à offrir de plus nombreux recours aux familles des victimes. Est-ce vraiment le cas ? Le rapport de l’Organisation des Nations Unies sur le sujet affirme plutôt le contraire. Non seulement le Salvador est le pays où il se produit le plus de féminicides à l’échelle mondiale, mais, en plus, le taux de ceux-ci est nettement en hausse dans les dernières années. On estime, d’ailleurs, le taux d’impunité à 90% pour les féminicides se déroulant à l’intérieur du pays.
Pour remédier à cette situation, de nombreux acteurs sont au premier rang d’une révolution, pour que le sang des femmes salvadoriennes cesse de couler. D’ailleurs. l’Union européenne et l’Organisation des Nations Unies ont récemment lancé l’initiative Spotlight, qui a pour objectif de dénoncer cette violence faite aux femmes et de la révéler au grand jour. Ce projet est, à mes yeux, d’une grande richesse, car c’est justement dans le silence que réside le problème de la violence. Il faut briser cette normalisation de l’agression, changer les mentalités et cette culture de la femme inférieure, que l’on peut frapper sans demander pardon. Bien sûr, cela n’arrivera pas du jour au lendemain, puisqu’on parle ici de valeurs ancrées depuis si longtemps que le poids de la tradition l’entraîne au fond d’une inégalité, qui, au premier regard, est sans issue. Et que dire de la religion qui, au lieu d’être un élément rassembleur comme elle devrait l’être, se tourne comme un outil politique de contrôle et d’oppression sociale, à qui on ne donne pas la liberté de s’adapter à des mœurs d’équité entre l’homme et la femme. La clé pour se sortir de ce cercle vicieux ? L’éducation ! La meilleure arme qui soit pour mettre fin à la peur, pour se faire entendre haut et fort, pour revendiquer et pour faire évoluer l’engrenage d’un système judiciaire, qui rendra justice comme il se doit de le faire, par définition. Il s’agit là de la solution à long terme pour que la femme puisse composer au quotidien avec l’être du sexe opposé, qui devrait être son allié, et non pas son éternel adversaire. Femmes du Salvador, le combat sera long, mais ô combien bénéfique.
Noémie Melen-Simard