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La surreprésentation des autochtones en milieu carcéral

La surreprésentation des Autochtones dans des institutions carcérales canadiennes persiste depuis bientôt quatre décennies. Ce fut en 1986 que les premiers travaux de Mylène Jaccoud ont permis de constater que les « […] Amérindiens représentaient 1,2% du total des admissions […] » au sein des établissements de détention du Québec (Brassard et al., 2011, p.1). Du fait de leur nombre et de l’écart entre les taux d’incarcération des autochtones et ceux des non-autochtones, les barrières sociales ont façonné considérablement le paysage de la population carcérale en accentuant ce racisme systémique qui perdure dans le système de justice canadien. Les premières manifestations du rapport de discrimination et de surreprésentation qui s’observe dans les milieux correctionnels canadiens ont commencé à se manifester dans les années 1970, suite aux progrès en matière de reconnaissance des droits des Autochtones (Boe, 1999, p.7; Jaccoud, 1992, p.65). En fait, les premières études ayant documenté la criminalisation des Autochtones ont uniquement été publiées à partir de la fin des années 1960. Bien avant l’arrivée des colons français et britanniques, les Autochtones disposaient d’un système de justice qui servait de régulation sociale au sein de leur collectivité.

La réalité préoccupante de la population carcérale autochtone canadienne est bien connue et ces individus ont souvent été assujettis à des itinéraires de vie les conduisant souvent à l’exclusion sociale (Brassard et Martel, 2009, p.123). Un moteur essentiel à la compréhension de la proportion de détenus autochtones incarcérés sont les diverses sphères sociales telles que le discours raciste hérité de la colonisation, les préjugés, la discrimination directe/indirecte, la ségrégation et la violence (Jaccoud, 1999, p.85-86). La colonisation des traditions, des cultures et des coutumes des Premières nations a miné leurs sociétés. Toutefois, l’usage abusif du pouvoir de la part des représentants du maintien de l’ordre affecte un segment important de la société et génère des répercussions significatives pour la société (Chalom, 2011, p.84). 

En ce sens, deux approches permettent d’avoir un meilleur sens de la réalité des Autochtones dans les pénitenciers : le profilage racial et le profilage criminel. Ces deux principes permettent de mieux comprendre les répercussions du racisme biaisé qui découle à la fois des aspects historiques et sociaux tels que le régime des pensionnats (Sioui et Thibault, 2001, p.46).

En fait, les caractéristiques sociodémographiques des détenus autochtones permettent de comprendre la problématique liée au racisme au sein de ces enjeux auxquels ils font face. La question de surreprésentation devrait être abordée d’un angle différent étant donné que les plus récents profils des « […] autochtones incarcérés au Canada mettent en évidence des antécédents d’abus d’alcool et/ou de drogues, une situation socio-économique fragilisée, une sous-scolarisation chronique, un passé de violence et de survictimisation et, enfin, des contacts récurrents avec l’institution carcérale » (Brassard et Martel, 2009, p.122; Roberts, 2001, p.69). Le rôle des facteurs sociodémographiques sur les taux d’incarcération des Autochtones permet d’analyser ces éléments qui pourraient avoir une incidence avec leur surreprésentation (Brassard et al., 2011, p.44). La surreprésentation des Autochtones en détention au Canada est disproportionnée puisque l’âge moyen au moment de leur admission en détention est plus bas comparativement aux non-autochtones (Sioui et Thibault, 2001, p.21). L’âge est donc un des facteurs les plus significatifs. 

Cette surreprésentation est également davantage marquée par le sexe, car en 2006, les femmes Autochtones représentaient 32% des détenues incarcérées dans des pénitenciers fédéraux (Brassard et al., 2011, p.8). La surreprésentation des femmes autochtones au sein des institutions de détention au Canada est plus marquée comparativement à celle des hommes et se distingue principalement par les types de délits commis (Brassard et Jaccoud, 2002, p.75). Diverses études démontrent que les autochtones détiennent un taux de scolarisation inférieur ainsi qu’un taux de chômage supérieur et que cela expliquerait environ 50% de la surreprésentation des jeunes adultes incarcérés (Brassard et al., 2011, p.44-45; Moore, 2003, p.2). En ce qui a trait à l’emploi chez les délinquants autochtones, il a été observé que lors de leur admission en détention, plus de la moitié des délinquants était plus souvent sans emploi comparativement à 40% des individus non autochtones (Moore, 2003, p.3). Par ailleurs, les problématiques d’alcoolisme et de toxicomanie sont des facteurs liés à la faible scolarisation et représentent 93% des délinquants des Premières nations (Moore, 2003, p.7-8). 

En effet, la situation des Autochtones est particulièrement inquiétante dans les milieux correctionnels canadiens. Qu’il s’agisse de racisme, de discrimination à la fois historique et systémique, de profilage racial et de marginalisation, leur proportion élevée dans les établissements de détention au Canada et au Québec demeure une réalité problématique et insidieuse (Loppie et al., 2014, p.1). Celle-ci d’ailleurs éclaire d’autant plus d’autres principes tels que leur égalité devant la loi, mais aussi l’équité et l’autodétermination, qui contribuent à rendre plus étroite la reconnaissance de leurs droits inhérents (Loppie et al, 2014, p.2; Dupuis, 2001, p.90).  Le système de justice pénale canadien a donc été imposé et ne prend pas en compte les traditions et les croyances autochtones. Il faut donc reconnaître que nous sommes en présence d’une pratique qui n’a pas de fondation ni législative ni éthique. 

En fait, la notion d’acculturation juridique est susceptible de prendre différentes formes, puisqu’elle résulte principalement d’une confrontation entre deux systèmes juridiques distincts. Le processus d’acculturation juridique et judiciaire dans les milieux autochtones a principalement émergé en raison d’une réception tardive et incomplète de leur ordre juridique (Rouland, 1983, p.181-182). Juste avant la signature de la constitution canadienne, en 1861, les premiers pensionnats religieux ouvrirent leurs portes ce qui « […] a grandement contribué à la fragilisation, à la perte de repères culturels et à l’acculturation des communautés » (Brassard et al., 2011, p.7). D’une part, on peut observer que la fusion entre les cultures autochtones et canadiennes s’est effectuée de manière progressive et avec divers degrés d’approches, en raison de l’acculturation juridique qui a mené à ce déracinement et cette l’assimilation (Rouland, 1983, p.181; Jaccoud, 2002, p.120). Dès lors, c’est seulement depuis quelque temps que l’on a pris conscience de ce phénomène scandaleux et de ses répercussions. L’acculturation juridique a imposé un système judiciaire blanc, ce qui a créé des écarts et des conflits au sein des communautés autochtones et a contribué à la « […] disparition des représentations et des comportements traditionnels » (Rouland, 1983, p.182). 

En somme, la prise en compte des pratiques de profilage racial permet de mieux circonscrire la discrimination envers les Autochtones ainsi que de dégager des solutions dans le but de contrer ce phénomène alarmant. La conclusion la plus significative à tirer est qu’il existe aujourd’hui un réel écart entre les Autochtones et les non-Autochtones en détention, en raison de nombreux facteurs qui peuvent constituer des enjeux importants dans leur processus judiciaire. Cette brève analyse rétrospective démontre même que selon plusieurs ouvrages, la colonisation a mené à la surreprésentation des autochtones en détention, bien qu’un lien de causalité n’ait jamais été officiellement établi. Certes, cette observation nous a malgré tout permis de saisir l’enjeu vital de la surreprésentation des Autochtones en milieu carcéral et de nous questionner sur les potentiels modèles de réintégration sociale qui tardent à être implémentés. Cette triste réalité mine les relations publiques, fragmente les communautés et porte ombrage à la réputation du Canada depuis bientôt un demi-siècle.

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