Le 14 mai 2019, l’honorable juge Clément Gascon a levé le voile sur les troubles d’anxiété chronique et de dépression avec lesquels il compose depuis une vingtaine d’années. L’honorable juge en chef Richard Wagner a qualifié cet acte de courageux, mais pour la société et plus particulièrement la communauté juridique, c’est bien plus que ça. Il a tiré la sonnette d’alarme sur une réalité qui ne peut plus être ignorée et avec laquelle plusieurs composent au travail, à l’école, bref au quotidien. Cet incident a ramené le débat concernant la place de la santé mentale dans les différents milieux de travail, dans les institutions scolaires et dans notre société en général.
Cinq c’est le nombre d’étudiants qui se sont enlevés la vie dans les derniers dix mois à l’université d’Ottawa. Cinq c’est le nombre de personnes qui n’ont pas eu d’aide quand ils en avaient besoin. Cinq c’est le nombre de familles détruites à cause du manque de ressources en santé mentale à l’université d’Ottawa. Cinq c’est le nombre de jeunes-adultes qui ne pourront plus réaliser leur potentiel. Cinq c’est le nombre de courriels concernant un décès d’un membre de la communauté étudiante que j’ai reçus. À chaque réception, c’était un mélange de tristesse, de questionnement, de colère et de frustration. Un c’était choquant, le compte est maintenant à cinq, alors la question est de savoir, combien en faut-il pour que ce soit trop ?
Nous sommes tous concernés par la santé mentale. Certains choisissent de l’ignorer, de vivre avec, mais pour d’autres la situation est insupportable. En 2020, il est primordial d’en parler et c’est ce que j’ai eu la chance de faire le 23 janvier dernier avec celui qui a su briser le silence, l’honorable juge Gascon. Selon lui, en 2020, il faut faire avancer le débat, arrêter d’associer les problèmes de santé mentale à un manque de contrôle, arrêter la stigmatisation, car cela contribue à l’isolement: il est plus que temps de ventiler le problème. Des solutions existent et en parler est la première étape.
C’est le problème de notre société. En entrevue, le juge n’a pas minimisé l’impact des médias sociaux et la pression qu’ils exercent. Un semblant de perfection physique et d’excellence intellectuelle inondent notre quotidien. C’est aussi la pression de l’immédiat, l’instantané, il faut toujours être disponible. Mais n’avons-nous pas besoin de nous déconnecter ? C’est une recherche perpétuelle d’une distinction, d’un petit plus que les autres n’ont pas, un monde souvent parallèle à notre réalité. La perfection n’existe pas et si rien n’est impossible, ce qui est possible doit être réaliste.
C’est le problème de nos institutions scolaires. Il faut avoir des bonnes notes, s’impliquer, travailler et avoir une vie sociale tout en prenant soin de nous. En période d’examens, pour la majorité des étudiant.e.s, dormir, manger, voir des amis devient un luxe qu’il n’est pas rationnel de se permettre. Comme l’a si bien dit monsieur Gascon, le cerveau peut parfois subir un surentraînement, pourtant, il s’agit d’un organe qui a besoin de pause et de se ressourcer. L’être humain est un superhéros qui a des limites – j’espère que je n’apprends rien à personne -.
C’est le problème des différents milieux de travail. C’est le dossier de trop, mais qui aurait permis d’avoir une promotion, les heures supplémentaires qui auraient permis de récolter la reconnaissance du superviseur. C’est aussi le collègue qui est beaucoup trop bavard pour la pertinence de ses propos et je ne parle pas d’une simple distraction. C’est un mélange de plusieurs éléments qui rend le milieu de travail toxique.
Au départ, ce sont des situations normales jusqu’à ce qu’elles rendent malade, paralysent et empêchent d’avancer. Il serait prétentieux de dresser une liste des causes et conséquences d’une mauvaise santé mentale, car elles sont différentes pour chaque personne.
De cette entrevue enrichissante avec celui qui a brisé le silence et qui comprend cette réalité, trois choses demeurent essentielles à retenir. Si vous composez avec des troubles de santé mentale, sachez que vous n’êtes pas seul. Aussi difficile que cela puisse être, vous devez briser le silence, en parler, aller chercher toute l’aide possible. Enfin, il faut rester optimiste, des solutions existent.
Merci monsieur le juge Gascon d’avoir ouvert la porte à la conversation sur la santé mentale. Le monde juridique, les institutions scolaires et la société en ont besoin.
Par Ruth Bansoba