Au cours de la dernière année, la liberté d’expression a sans contredit fait l’objet d’une forte attention médiatique. Vous penserez sûrement à la situation qui a plongé notre université au centre d’une conversation d’échelle nationale suite à l’usage d’un certain mot. Pourtant, c’est le silence qui a fait le plus d’échos.
Le 6 février dernier marquait un an depuis le décès de Li Wenliang, l’ophtalmologue chinois qui fut l’un des premiers lanceurs d’alerte sur le sujet du virus de la Covid-19. Ce funèbre anniversaire nous pousse à réfléchir sur les événements qui ont suivi sa mort et à songer, avec amertume, à comment le scénario aurait pu être différent n’eût été des efforts du gouvernement chinois afin de le faire taire.
Dans les semaines entourant le début de l’année 2020, le virus de la Covid-19 a connu un essor incroyable, en partie en raison des multiples manquements des États et des organisations internationales. En effet, leur réaction tardive, leur carence de communication des informations essentielles et leur manque de coopération en général ont tous été des facteurs qui ont contribué au développement du virus, qui, je ne vous apprends rien, s’est rapidement transformé en situation « sans précédent ». Or, bien que ces comportements des acteurs internationaux soient déjà en soi contraires aux obligations qui s’imposent à eux en matière de santé et de prophylaxie, les violations ne s’arrêtent pas à la simple inaction négligente. Des violations intentionnelles de la liberté d’expression des citoyens auraient prétendument été perpétrées par le gouvernement chinois en vue de garder le virus secret dès son émergence.
Bien que la communauté internationale n’ait été informée du virus qu’à la toute fin du mois de décembre 2019, certaines sources prétendent que la Chine, elle, en avait la connaissance dès la mi-novembre 2019, et même possiblement avant. Entre l’émergence des premiers cas du coronavirus et l’information du public quant à l’existence de celui-ci, une forte campagne de censure aurait été menée par les autorités chinoises : des journalistes bâillonnés, des experts et des docteurs réduits au silence et des lanceurs d’alerte arrêtés et emprisonnés. Plusieurs témoignages font d’ailleurs preuve de la censure particulièrement draconienne pratiquée par la Chine sur les médias sociaux. Notamment, un journaliste du magazine Wired divulgue ses observations : « In total, I’ve collected nearly 100 censored online posts: 40 published by major news organizations, and close to 60 by ordinary social media users […]. In total, the number of Weibo posts censored and WeChat accounts suspended would be virtually uncountable. »
Pour ce qui est des individus particulièrement proactifs dans la divulgation de l’information sur le virus, c’est-à-dire les « lanceurs d’alerte », leur répression fut d’autant plus agressive : lorsque le docteur Li Wenliang a tenté d’avertir le public de l’émergence d’un nouveau virus, le gouvernement a répondu par le bâillonnement, lui envoyant une lettre le menaçant de subir des conséquences légales pour ses propos. Un autre cas fut celui de Fang Bin, un lanceur d’alerte chinois qui est porté disparu après avoir reçu une visite de la police pour avoir publié des vidéos exposant les atrocités qui se déroulaient à l’intérieur d’un hôpital de Wuhan. Ce scénario invraisemblablement excessif s’est pourtant reproduit à maintes occasions, notamment à l’égard de l’avocat chinois Chen Qiushi, du journaliste Li Zehua et de la journaliste citoyenne Zhang Zhan, qui auraient prétendument tous été mis en « quarantaine forcée » par la police chinoise, et ce, dans un lieu non divulgué. Ce ne sont là que quelques exemples parmi un nombre inconnu d’individus dont le silence fut forcé par l’État.
Je reviens donc à cette liberté tant discutée : la liberté d’expression. En vertu de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dont la Chine est signataire depuis son adoption, la liberté d’opinion et d’expression de tout être humain inclut le droit de « chercher, de recevoir et de répandre […] les informations ». Cette censure des citoyens chinois quant au virus constitue donc une évidente violation de ce droit fondamental.
De plus, si les allégations de disparition forcée des lanceurs d’alerte s’avéraient prouvées, celles-ci pourraient potentiellement constituer des crimes contre l’humanité. En effet, l’« emprisonnement ou [une] autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international », ainsi que les disparitions forcées de personnes commises dans le cadre d’une « attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque » constituent des crimes contre l’humanité énoncés respectivement aux articles 7(1)e) et 7(1)i) du Statut de Rome, et ce, même en temps de paix.
Somme toute, l’accumulation d’allégations de violations du droit international qui pèsent contre la Chine et qui, à ce jour, demeurent sans sanction, nous force à se questionner sur l’effectivité du droit international. Comment la Chine peut-elle impunément contrevenir aux obligations qui s’imposent à elle et violer les droits de ses citoyens ? Les mécanismes de responsabilité des États et d’imputabilité présentement en place doivent-ils être renforcés ? Les nouveaux enjeux mondiaux nécessitent-ils plutôt une réforme radicale des institutions du droit international ?