Le hockey m’a toujours été un bon divertissement. Dans un monde où les situations sont souvent complexes et changeantes, un royaume du compromis où les teintes de gris se font reines, le hockey, à l’image de ses arbitres, nous a toujours offert un dualisme libérateur : c’est blanc, ou c’est noir. On gagne ou on perd. On jette les gants, ou bien on en reste aux insultes. On tire et on compte… ou (c’est le propre de certains joueurs) on tire tout simplement.
Il n’y a pas à se casser la tête sur la morale non plus, car elle est d’un manichéisme libérateur. Ainsi, il y a les bons, les méchants et, comme pour les meilleurs “blockbusters” hollywoodiens, on ne sera jamais appelé à remettre en question cette distinction. C’est donc avec fébrilité que je me suis dérobé à mes études, mardi dernier, afin de me permettre quelques minutes de haine (n’en déplaise à Orwell) : un affrontement Montréal-Boston. Je vous laisse le soin d’induire du texte qui suit l’orientation de ma partisanerie.
C’était une partie âprement disputée, mêlant rapidité et robustesse, comme seule cette rivalité sait le faire: j’étais bien servi. La partie fut si palpitante que j’en oubliai pour un instant la montagne jurisprudentielle qui ferait tant souffrir les coutures de mon sac le lendemain. Hélas, on m’arracha trop tôt de cette douce anesthésie; un but marqué, contesté, puis retiré et voilà le juriste sommeillant en moi qui se réveille. À ce moment, je réalisai que même mon échappatoire n’échappe pas au droit.
Le plus évident, ce sont les arbitres. Un but n’est marqué qu’au signal de l’arbitre, et celui-ci ne tend le bras qu’après avoir apprécié les faits: s’il aperçoit la rondelle au-delà de la ligne des buts, c’est 1-0. Or, pour ce qui est du match de mardi, c’était 5 à 4 et les Bruins prenaient les devants pour une première fois. Lors de la séquence, le gardien de but des Canadiens s’est vu bousculé et les arbitres se sont adressés aux juges de lignes pour un court délibéré, mais en l’absence de dissidence la décision fut maintenue. La foule montréalaise est assommée. C’est alors que l’entraîneur du tricolore reçoit un appel. On l’aperçoit en pleine communication avec les experts-vidéo de l’équipe, véritables juristes de la reprise, mais la foule reste calme. On sait que l’indication de l’arbitre établit une présomption de but et qu’il faudra une preuve hors de tout doute raisonnable pour la renverser. Finalement, le plaidoyer est livré aux arbitres. La décision est portée en appel pour cause de hors-jeu en entrée de zone. Soudainement, la foule reprend vie.
Toronto reçoit alors un appel. Ce n’est pas leur équipe de hockey qu’on saisit de la question, mais plutôt le centre général d’appel des reprises vidéo, où l’on retrouve les plus grands, les plus brillants téléviseurs de la ligue. Les partisans des deux camps retiennent leur souffle alors que les juges tardent à se prononcer. Pendant ce temps, les commentateurs scrutent la question sous tous les angles flous qu’offrent la télédiffusion. On remarque que les patins du joueur semblent bel et bien devancer la rondelle (la définition du hors-jeu), mais on va plus loin. On alambique l’esprit du règlement et certains analystes tentent même de définir des règles restées obscures :
« Le concept de possession de rondelle sera très intéressant ici… Est-ce qu’on juge qu’un joueur a la possession de la rondelle lorsqu’il l’a dans les patins… »
Sur les médias sociaux, d’autres se scandalisent de l’existence de la règle. Ils proposent qu’elle soit abrogée à la prochaine réunion des directeurs généraux, avec l’approbation du conseil des présidents bien sûr. Le commissaire, quant à lui, s’abstient de modérer le débat; les discours-fleuve affluent et regorgent d’injures.
Finalement, l’arbitre dépose ses écouteurs et, de nouveau, le silence s’installe. L’arbitre s’avance au centre de la glace et rend la décision. Il y a eu erreur de droit du juge de ligne; il y avait hors-jeu et on renversa ainsi la décision d’accorder le but. Incessamment, les Canadiens marquent le but de la victoire et, au Centre Bell, on sabre le champagne.
Lorsque je retrouve mes esprits, on présente le sommaire de la partie. Je porte une attention particulière aux pénalités décernées. On a jugé bon, par souci d’équité, d’en accorder un nombre identique à chaque équipe. Cela me rappelle l’interprétation libérale qu’on fait des règlements lors des séries éliminatoires, ou l’interprétation stricte des coups à la tête faite par souci de protection, ou la sanction sévère réservée aux combats qui troublent l’ordre public sur la patinoire… J’aperçois que certaines coutumes sont immuables.
Mais de la mienne, celle d’écouter le hockey en toute quiétude, qu’en est-il? Et bien, au froid des arénas, elle s’est cristallisée en règle de droit. Quelle terrible judiciarisation du hockey…
Par Gregory Martel