Nicolas Rioux
nriou076@uottawa.ca
Par ces lignes, je ne vous apprends absolument rien en vous faisant part du climat actuel de dénonciation massive de cas d’agressions et de harcèlement sexuels qui frappe notre société. L’actualité fut abondante dans les derniers mois en termes de personnalités publiques faisant l’objet de telles plaintes. L’objectif ici n’est pas de revenir sur ces tristes et répugnants cas, qui, pris dans leur globalité, illustrent la triste réalité de notre société. Elle, qui s’était peut-être trop rapidement autoproclamée forteresse de la sagesse, dans un monde où, tristement, le monopole de la vertu est associé au monde occidental. Le but est plutôt de reconnaître, en premier lieu, les avancements institutionnels qui s’opèrent sur la question de la violence sexuelle et, en deuxième lieu, d’exposer les changements de mentalité à effectuer dans notre société afin de permettre aux victimes de bénéficier de ces avancements institutionnels.
Au niveau institutionnel, le message passe et des réformes s’opèrent. L’Université d’Ottawa a par ailleurs mis de nombreuses ressources à la disposition des étudiants pouvant être touchés par la violence sexuelle, notamment le Bureau des droits de la personne ou encore le Centre d’entraide de la Fédération étudiante de l’Université d’Ottawa, pour ne nommer que ces deux organismes. À l’échelle provinciale, le Protecteur du citoyen a rendu un avis en décembre militant en faveur de l’élimination de la prescription extinctive de 30 ans pour les recours civils pour un préjudice résultant d’une agression à caractère sexuel, de violence subie pendant l’enfance, ou de violence d’un conjoint ou d’un ancien conjoint, tel qu’actuellement prévu à l’article 2926.1 du Code civil du Québec. L’idée est d’autant plus intéressante que huit provinces canadiennes n’ont actuellement aucune prescription sur de tels recours. Il ne reste plus qu’à espérer que le Ministère de la Justice du Québec légiférera en ce sens.
Mais peu importe ce que la loi prévoira, peu importe la structure de notre système de justice, peu importe les ressources mises à la disposition des victimes, ces moyens n’auront d’effets que si les victimes bénéficient d’un climat favorable à la dénonciation, d’un climat suffisamment ouvert à la problématique pour que les victimes se manifestent, portent plainte au criminel, poursuivent au civil, se lèvent et crient haut et fort. La solution est alors entre les mains de la collectivité et elle s’opère par un changement de mentalité et de perception face à la dénonciation. Je vous expose ici quelques dérapages des dernières semaines qui sont d’ignobles exemples, quoique subtils, de la promotion de la culture du viol.
Une centaine de Françaises, dont l’actrice Catherine Deneuve, ont rédigé une tribune allant à contre-courant du mouvement #Metoo suite au scandale de l’affaire Harvey Weinstein. Elles y écrivent notamment que «la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit ni la galanterie une agression machiste ». Bien que nous puissions convenir qu’en effet, la drague (sous sa définition conventionnelle) ne constitue pas en soi une agression sexuelle, le caractère dénonciateur des mouvements féministes qui sous-tend cette tribune vient sans équivoque tirer la couverture du côté de l’agresseur. Les signataires de ce texte appellent les femmes à «s’autonomiser» : le fait que des femmes dénoncent courageusement les actes criminels dont elles ont été victimes constitueraient-ils un manque d’autonomie ou de maturité? La problématique ne nécessitait aucunement un mouvement de pression à sens inverse, alors même que la vague de dénonciation actuelle, vertigineuse en apparence, ne se compose que d’une minorité de victimes dans un océan d’autres silencieuses.
Et il n’y a pas que les personnalités publiques qui viennent entraver le mouvement #Metoo. L’opinion publique n’y va pas non plus de main morte pour discréditer les victimes. À la suite de la sortie publique de l’affaire Salvail, une page Facebook avait été créée en soutien à celui-ci. Il est bien beau de reconnaître la présomption d’innocence dans notre société démocratique, mais celle-ci ne devrait pas influencer quiconque à se porter à la défense d’un présumé agresseur. La façon d’agir qui serait la plus appropriée serait en fait de ne pas prendre position. Ce n’est pas une partie de hockey dans laquelle on prend parti d’un côté ou de l’autre, c’est un dossier sérieux qui implique des êtres humains en détresse ! En supportant l’agresseur, on vient du même coup discréditer la victime et lui envoyer le message selon lequel on ne la croit pas. Laissons les tribunaux faire leur travail, car de prendre position sur un événement dont nous n’avons aucune idée de la véritable teneur revient à aveuglément brandir le poing en ne se basant que sur des hypothèses arbitraires qui blesseront et dissuaderont les victimes déjà réticentes à la dénonciation.
Au fond, le processus débute lorsque la résilience remarquable dont fait preuve une victime l’emmène à dénoncer. Dès lors, les ressources institutionnelles exposées ci-haut entreront en jeu et permettront d’assister la victime tout au long de ce processus. Néanmoins, la première étape est celle de la dénonciation et celle-ci n’est promue que si la société et l’ensemble des individus la constituant pris isolément se portent sans ambiguïté à la défense des victimes, dénoncent clairement la violence sexuelle et ne tentent par aucun moyen de la banaliser. Par-dessus tout, nous devons reconnaître que les crimes à caractères sexuel sont un fléau dans notre société et qu’il faut y remédier. Mesdames, nous devons montrer que nous sommes derrière vous, pas seulement en apparence, mais bien concrètement.
Nicolas Rioux