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Droits et libertés

Guerre, cruauté et égalité

Alors, si je vous parle de Denis Mukwege, cela vous dit quelque chose? Pour ceux à qui ce nom est inconnu, laissez-moi enrichir votre culture générale :

 

Monsieur Mukwege est un gynécologue congolais qui pratique son métier à l’Hôpital de Panzi, à Bukavu. Derrière ce sourire taquin se cache non seulement un véritable héros, mais aussi, les trop nombreux souvenirs d’atrocités les plus inhumaines les unes des autres : en effet, Dr Mukwege se spécialise dans la réparation de l’appareil génital de survivantes d’agressions sexuelles en temps de guerre, ce qui lui a mérité le prix Nobel de la paix en 2018.

Pour faciliter la rédaction de ce texte, les victimes seront abordées au féminin et les agresseurs au masculin. Je tiens à rappeler que dans le monde, 80% des victimes d’agressions sexuelles sont de sexe féminin. De plus, l’emploi du mot « survivante » plutôt que « victime » sera aussi privilégié. Ce terme est préféré, afin d’éviter que la personne qui a subi le viol ne demeure dans un état de faiblesse et de vulnérabilité. 

 

En effet, dans ses nombreux discours, le Dr Mukwege fait souvent mention du fait que le viol perpétré comme une arme de guerre comprend des caractéristiques particulières, lesquelles ne se retrouveraient pas dans un viol commis dans d’autres circonstances. Dans leur article « Women victims of sexual violence in armed conflicts in the Democratic Republic of Congo », les auteurs S. Rubuye Mer et N. Flicourt mentionnent qu’au-delà de la volonté de détruire la femme qui en est survivante, le viol est utilisé comme une véritable stratégie en soi, une arme pour anéantir la population en s’attaquant à l’accroissement de celle-ci. Attaquer l’accroissement d’une population est une stratégie qui permet à ces criminels de s’emparer des richesses du territoire: « Le corps de la femme est considéré comme un champ de bataille, un moyen d’humilier la communauté accueillante. L’avilissement de la femme est une stratégie délibérée visant à corrompre les liens familiaux, communautaires, nationaux et internationaux ».

 

À ce moment, vous vous demandez peut-être pourquoi s’attaquent-ils aux femmes? Je vous répondrais que c’est parce qu’elles sont souvent le cœur battant des familles. Elles portent en elles la culture du pays et veille au futur de celui-ci. Vous comprendrez qu’une mère de famille ayant vécu un ou de tels traumatismes peut difficilement être fonctionnelle pour ses enfants, et encore moins venir en aide à sa communauté. De même, une autre à qui on a transmis le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) par le viol et qui accouche par la suite met malgré elle, sa propre santé et celle d’une génération en danger.

 

Dans son article « Le paradigme du viol comme arme de guerre à l’Est de la République du Congo », l’auteure Véronique Moufflet explique en quoi consiste ce phénomène : « Le but, conscientisé ou non, est de détruire les réseaux familiaux, d’annihiler les réseaux de solidarité fondamentaux, et de rendre impossible la reproduction d’une certaine population et donc l’existence même du groupe visé. En effet, beaucoup de femmes violées dans ces conditions se retrouvent stériles. D’autre part, les enfants issus des viols, forcément ethniquement mixtes, lorsqu’ils ne sont pas abandonnés ou tués, sont exclus de la communauté ainsi que leur mère. Enfin, les jeunes filles, largement touchées par les agressions sexuelles, y perdent leur virginité et ne sont plus « mariables » selon les codes culturels habituels ».

 

Comme mentionné plus haut, les survivantes ne constituent pas seulement des mères de famille. Ce sont aussi des enfants de 18 mois et des dames octogénaires, violées par un, deux ou parfois même dix hommes devant leur famille, leurs amis et/ou leur communauté. Tantôt attachées à un arbre et tantôt martyrisées avec tous types d’objets. Cette cruauté n’a aucune limite et n’épargne personne.

 

Et pourquoi donc ces atrocités ont-elles encore lieu en 2019? Cela s’explique entre autres par un chemin tumultueux qui débute avec un État qui n’engage pas sa responsabilité à l’international, passant par une gouvernance médiocre,  sans oublier l’aveuglement d’un nombre trop élevé de personnes. Un virage serré vers une société patriarcale toxique qui certifie à l’homme que le corps de la femme est une propriété qui lui est due. Un autre virage vers une culture qui refuse d’admettre l’inégalité qui perdure entre l’homme et la femme. Se terminant avec une éducation manquante, une soif de dominance cruelle et pour couronner le tout, l’absence d’un état de droit.

 

En direct de notre nid douillet canadien, que peut-on faire devant une situation pareille? J’ose dire de partager compassion et amour envers nos proches et même les moins proches. Surtout, de ne pas fermer les yeux devant les drames d’ici et d’ailleurs, de manière à repousser cette indifférence perverse qui a tendance à nous habiter.

 

Parce que, se conscientiser à l’égard ce qui nous entoure de près ou de loin n’a jamais fait de mal à personne, non?

 

Par Alexia Morneau

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