COLLABORATION SPÉCIALE AVEC LE PROFESSEUR JABEUR FATHALLY, SPÉCIALISTE DE DROIT COMPARÉ, DE LÉGISLATIONS ARABO-MUSULMANES ET DE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE
Plusieurs questions m’ont été posées ces derniers jours concernant les attaques de Paris. Ces questions proviennent des médias internationaux et nationaux mais également de certains de mes collègues et étudiants. Dans cet article, je me limiterai, à répondre, succinctement, à certaines de ces questions.
Qu’est-ce que l’Etat islamique (ou DAECH) ?
Il s’agit d’un groupe prônant l’imposition d’un gouvernement «islamique» (le Califat) qui gouvernera tous les esprits, bon gré mal gré! Certes, ce groupe est né dans les girons d’Al-Qaida mais il va profiter du déclenchement du conflit armé en Syrie en 2011, pour conquérir, grâce à l’aide de certains acteurs régionaux, une bonne partie du territoire syrien et l’utiliser pour annexer, en juin 2014, l’équivalent du 1/3 du territoire iraquien.
Dirigé par des anciens prisonniers de la prison d’Abou-Graib en Irak et comportant d’anciens combattants d’Al-Qaida ainsi que d’anciens officiers de l’armée iraquienne, ce groupe suit scrupuleusement la stratégie de la terreur telle que décrite dans le livre : « L’administration de la sauvagerie », rédigé par un certain Abu Bakr Néji considéré comme le théoricien de ce groupe. Cette stratégie repose sur deux axes : (1) le combat de l’ennemi proche (les musulmans qui ne partagent pas la même interprétation de l’Islam et la même vision du monde que l’Etat islamique) pour combattre, par la suite, l’ennemi lointain (l’Occident) et ; (2) l’utilisation de tous les moyens de destruction pour décourager l’ennemi et l’affaiblir économiquement et militairement. Les décapitations médiatisées, les attentats suicides et les attaques simultanées (swarming), comme ceux de Paris, figurent parmi les moyens les plus utilisés par ce groupe.
Est-ce que la religion musulmane justifie les actes de ce groupe?
Non. La religion est utilisée comme un « aimant d’attraction » surtout lorsque l’on constate la place qu’occupe cette religion dans la psychologie et l’imaginaire des musulmans. Les jeunes musulmans sont sensibles aux discours religieux et peuvent être influencés facilement par le discours religieux radical. Plus encore, ceux d’entre eux qui éprouvent des problèmes familiaux, psychologiques ou scolaires sont plus enclins à rejoindre les groupes terroristes. Ces jeunes – souvent égarés- sont induit en erreur par un discours qui promet le paradis et prône la lutte contre « les injustes » et « les pharaons du siècle ». En Islam, le concept du Jihad veut dire la lutte contre ses propres désirs et la légitime défense en cas d’agression. À vrai dire, ce concept de Jihad est celui qui a fait l’objet de manipulations multiples dans toute l’histoire musulmane. Ces manipulations ont conduit à ce que ce concept devient synonyme d’agression et de barbarie.
Il n’y a rien dans l’Islam qui justifie les actes morbides, non-discriminatoires et infâmes de ce groupe. Il est bien dit dans le Coran (livre sacré des musulmans) que « quiconque tuerait une personne sans raison c’est comme s’il avait tué toute l’humanité » et que « [n]ous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez ».
Est-ce que la communauté internationale a perdu sa guerre contre l’Etat islamique ?
Non. Certes la passivité de la communauté internationale a permis à ce groupe de s’organiser et de bénéficier de l’aide ou de la complaisance de certains gouvernements, mais il me semble que les attaques de Paris vont pousser aussi bien les puissances internationales (É-U, Russie, UE) que certaines puissances régionales (Iran, Turquie, Arabie-Saoudite) d’avoir une politique militaire et financière cohérente pour combattre ce groupe tout en reléguant certaines questions, telle que la question de l’avenir du président syrien, à des étapes ultérieures. L’assèchement des flux financiers qui nourrissent ce groupe, l’utilisation des pressions diplomatiques, politiques et juridiques contre les gouvernements qui soutiennent directement ou indirectement ce groupe et l’implication de l’ONU dans toute démarche militaire sont parmi les moyens qui permettront, à moyen terme, de mettre fin à cette ignominie.
Faut-il accepter les refugiés syriens au Canada ?
Oui. Les attentats de Paris constituent un motif supplémentaire pour accueillir les 25 000 réfugiés syriens. Nos inquiétudes sécuritaires ne doivent ni affaiblir nos valeurs ni compromettre nos engagements humanitaires. Nous savons que le risque zéro n’existe pas mais nous savons également que le gouvernement a l’obligation de faire les vérifications nécessaires pour faciliter l’arrivée de ces réfugiés et pour prendre en considération les inquiétudes d’une partie de la population canadienne. Accélérer la sélection pour les personnes les plus vulnérables (enfants, familles, femmes) parmi ces réfugiés est une bonne décision qui respecte aussi bien les règles du droit international humanitaire que le désir de la majorité des canadiens.
Le Flagrant Délit tient à remercier le professeur Jabeur Fathally pour sa collaboration au journal.