CHRONIQUE EN DROIT CRIMINEL ET PÉNAL

Juridiction permanente destinée à juger les crimes considérés comme les plus graves par la communauté internationale, la Cour pénale internationale (« CPI ») a été créée par le Statut de Rome de 1998. Cependant, il aura fallu atteindre le seuil de 60 ratifications des États signataires afin qu’il entre en vigueur, soit 4 ans plus tard.
En réalité, la compétence de la CPI est plutôt limitée. Trois raisons l’expliquent. D’abord, la CPI ne peut connaître que quatre catégories d’infractions bien spécifiques. Il s’agit du crime contre l’humanité, du crime de guerre, du crime d’agression et du génocide. Deuxièmement, la CPI ne peut intervenir que si le crime a été perpétré sur le territoire d’un État partie à la Convention. Cependant, dans des cas exceptionnels, lorsqu’un État qui n’est pas signataire commet des violations graves du droit humanitaire, le Conseil de sécurité de l’ONU peut donner compétence à la CPI. Par exemple, les actes commis au Soudan dans la région du Darfour en 2005 ont été qualifiés de crimes contre l’humanité. Enfin, la CPI a une compétence complémentaire, c’est-à-dire qu’elle est habile à connaître une affaire uniquement si le système de justice de l’État qui devrait normalement être compétent ne l’est pas ou qu’il ne souhaite pas faire valoir sa compétence. Dans le cas du Darfour, la Commission d’enquête, constatant que le système de justice soudanais était défaillant pour juger les criminels, a transmis les dossiers à la CPI.
Les compétences limitées de la CPI démontrent la difficulté de la communauté internationale à instaurer un véritable système de justice pénale d’envergure mondiale. Jusqu’à ce jour, 70 des 193 États membres de l’ONU, dont les États-Unis, la Chine, et la Russie n’ont pas ratifié le Statut de Rome. L’un des arguments avancés est qu’historiquement, le « pouvoir de punir » est central à la souveraineté étatique. Or, pour créer un tribunal international tel que la CPI, les États doivent abandonner un peu de leur souveraineté au profit d’un plus grand que soi.
Possibilité d’asile au Canada pour les auteurs de crimes internationaux?
L’affaire Ezokola, rendue par la Cour suprême du Canada en 2013, est l’une des décisions les plus importantes en droit humanitaire international. Elle clarifie la notion de complicité qui permet d’exclure un individu du statut de réfugié pour sa participation à un génocide, à un crime contre l’humanité ou à un crime de guerre. Ainsi, en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le statut de réfugié ne pourra être octroyé aux individus dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’ils ont commis l’un de ces crimes.
De 1999 à 2003, M. Ezokola est employé de divers ministères du gouvernement de la République démocratique du Congo (« RDC »). En 2004, il est affecté à la mission permanente de la RDC aux Nations Unies. En 2008, il démissionne et s’adresse au Canada afin d’obtenir le statut de réfugié. Après analyse, sa demande est rejetée au motif qu’il aurait participé aux crimes contre l’humanité commis par le gouvernement de la RDC.
Les juges ont été amenés à déterminer comment les tribunaux canadiens doivent différencier entre les demandeurs d’asile devant être protégés parce qu’ils fuient les persécutions et ceux devant être exclus parce qu’ils ont participé à des crimes graves. Ainsi, M. Ezokola peut-il se voir refuser le statut de réfugié parce qu’il a exercé des fonctions au sein d’un gouvernement qui s’est livré à des crimes internationaux? La Cour affirme qu’aux fins de déterminer le statut de réfugié, il est inutile de distinguer entre la personne qui commet le crime et celle qui aide ou encourage sa commission. Ainsi, la complicité dans la perpétration de crimes internationaux est suffisante pour que le Canada refuse d’octroyer le statut de réfugié. En revanche, la seule appartenance à un groupe qui commet des crimes internationaux n’est pas suffisante pour justifier le refus. Bien que ces crimes se distinguent par leur ampleur et leur caractère collectif, cela « ne diminue pas l’importance de ne tenir une personne responsable que des actes répréhensibles qu’elle a commis ».
Néanmoins, des personnes peuvent être complices de crimes internationaux sans pour autant être associées à un acte spécifique. Il doit seulement exister un lien entre ces personnes et le dessein criminel du groupe. Pour que le Canada refuse l’asile à un individu, il devra donc « exister des raisons sérieuses de penser que la personne a volontairement et consciemment contribué de manière significative à la perpétration d’un crime par un groupe ou à la réalisation du dessein criminel de ce groupe ». Comme le souligne la Cour suprême, « la réalité de la criminalité internationale nous oblige à faire porter notre regard par-delà le droit pénal canadien ».
Attentats à Paris
Bien qu’ils choquent la communauté internationale, les évènements intervenus à Paris ne peuvent actuellement pas être qualifiés de crimes internationaux au sens de la CPI. Même s’ils devaient l’être, la CPI ne serait pas compétente puisque rien ne démontre que la France est dans l’impossibilité de punir les criminels ou qu’elle ne souhaite pas le faire. Une réflexion doit être faite; devant l’ampleur et l’indignation internationale, la CPI ne serait-elle pas plus habile à juger ce type de crime? Aussi, des États imposants n’ont pas encore donné compétence à la CPI par la ratification du Statut de Rome. Néanmoins, ils supportent la France et souhaitent que les auteurs de ces crimes soient punis. Ces évènements ne devraient-ils pas empresser la communauté internationale à élargir la compétence de la CPI? Et l’impact sur le statut de réfugié? Ce sont malheureusement des questions régies par la loi « des 2 P » : pouvoir et politique !