TW. Agressions sexuelles, leurre, pédophilie, cybercriminalité.
Note de l’auteure : Selon plusieurs études menées par Statistiques Canada, on peut lire que « [l]a grande majorité (98 %) des auteurs présumés inculpés d’agression sexuelle étaient de sexe masculin et leur âge médian était de 33 ans ». D’un pays à l’autre, les chiffres changent, mais le constat demeure très semblable. C’est en raison de ces statistiques que le masculin sera employé, lorsque les termes tels « agresseurs », « prédateurs » et autres vocables du même champ lexical. Néanmoins, il est important de souligner et reconnaître que les femmes aussi commettent des agressions sexuelles sur les enfants et que ce ne sont pas tous les hommes qui commettent des crimes à caractère sexuel.
Par ailleurs, sans prétendre être une experte en la matière, j’espère que ce texte pourra ensemencer quelques pistes de réflexion, voire reconnaître les signes afin de, sait-on jamais, protéger les enfants de votre entourage.
Comprendre la stratégie du grooming
Le terme « grooming » qui se traduit en français par « pédopiégeage », est une stratégie employée par les pseudo-prédateurs afin d’attirer un(e) jeune, de gagner sa confiance et dès lors, le soumettre à de la violence à caractère sexuel.
En réalité, il est peu commun qu’une personne subisse une agression sexuelle soudainement ou par hasard. Toujours en vertu de Statistiques Canada, 87% des survivant(e)s d’un ou plusieurs crime(s) à caractère sexuel ayant rapporté le crime qu’iel a vécu, connaissait l’auteur du crime. On peut donc déduire qu’une plus large proportion des victimes de crime à caractère sexuel connait l’auteur du crime, en ce que (i) les crimes à caractère sexuel constituent les crimes les moins dénoncés et que (ii) ces survivant(e)s ont probablement vécu du grooming.
Selon une étude conduite en Alberta, 92% des enfants-victimes sondés connaissaient l’auteur du crime lors de la commission des faits allégués. Ce sont des agressions qui ont été délibérément et méthodiquement planifiées par l’agresseur. Les étapes de cette planification (grooming) sont plus ou moins les suivantes :
1- Cibler une victime. En effet, les enfants sont malheureusement souvent une victime dite « facile » pour les agresseurs. Ceux-ci sont (i) vulnérables, facilement manipulables et (ii) ils n’ont pas l’ensemble des connaissances qu’un adulte possède. Un prédateur sera donc à la recherche d’exploiter la vulnérabilité de l’enfant.
2- Former un lien et combler un besoin. C’est à ce moment où le prédateur est à la recherche d’informations qui pourront l’aider à atteindre son but. Il peut s’agir d’informations personnelles comme le domicile, le nom des parents et l’horaire de la victime ou même ce dont iel a besoin. Un enfant ayant besoin d’attention, de nourriture ou autre peut être l’objet de grooming en ce que le prédateur tend à vouloir combler ce besoin afin de gagner sa confiance. C’est aussi à ce stade que les parents de la victime peuvent aussi être piégés par le jeu du prédateur.
3- Isoler l’enfant. Le prédateur saisit ou crée des opportunités afin de se retrouver seul avec l’enfant. Lorsque les parents sont aussi piégés, ceux-ci peuvent, malgré eux, devenir complices dans la réalisation de cette étape : iels ont confiance en l’agresseur et lui permet de passer du temps avec leur enfant.
4- Le passage à l’acte. Il peut s’agir d’une ou de plusieurs agressions. L’agresseur tente de rassurer et surtout, de normaliser les actes commis. Dépendamment l’âge de la victime, l’agresseur peut tenter de convaincre l’enfant qu’il s’agisse de « marques d’amour » et le désensibilise à son intégrité physique, psychologique et sexuelle. Lorsque cela consiste en une série d’agressions, au début, l’agresseur tend à adresser ses premiers actes comme étant accidentels du genre « j’entre accidentellement dans ta chambre pendant que tu te changes ». Les actes peuvent prendre la forme de touchés aux cuisses, de chatouilles et progresser par la suite vers des actes encore plus intrusifs.
5- Le maintien du lien de domination. Lorsqu’il s’agit d’une série d’agressions, l’auteur des crimes utilise tous les moyens à sa disposition afin de récidiver. Cela peut se traduire par de la violence, des menaces, faire peur à l’enfant ou même le couvrir de cadeaux. Tous ces moyens sont aussi utilisés afin que l’enfant garde le silence quant à ce qu’iel a subi.
En droit criminel canadien, plusieurs démarches commises dans le cadre de la stratégie de grooming représentent des circonstances aggravantes lors du procès de l’auteur des faits allégués. Outre que l’âge et la vulnérabilité inhérente de la victime, l’abus de confiance, la planification et la répétition des gestes sont des facteurs importants qui influent sur la peine octroyée. La jurisprudence s’est notamment arrêtée sur le concept de grooming. La décision M. B. v. Child and Family All Nations mentionne notamment ce qui suit :
[Traduction] (…) le leurre (…) signifie qu’un adulte a des communications inappropriées avec un enfant qui pourraient mener à un but sexuel. Ceci peut être réalisé de plusieurs façons. Selon Legare, cela commence par des communications qui réduisent les inhibitions de l’enfant et exploitent sa « curiosité, son immaturité ou sa sexualité précoce » (au par. 28). Leurrer (…) un enfant implique également de se familiariser avec les détails personnels de l’enfant et de cultiver une relation de confiance avec lui de sorte qu’il desserre ses inhibitions. L’intention ou même l’implication agressive de l’enfant dans les communications n’est pas pertinente en raison du fait même qu’un enfant n’a pas la maturité ou l’intellect d’un adulte.
Par ailleurs, depuis la décision R. c. Friesen de la Cour suprême du Canada (2019), le très honorable Juge en chef Wagner souligne la gravité des infractions à caractère sexuel commises à l’égard des enfants en invitant les juges des autres instances à octroyer des peines plus sévères. Celui-ci rappelle entre autres deux (2) éléments. En premier lieu, un enfant âgé de moins de 16 ans ne peut consentir à une activité sexuelle. Cela veut dire que même si iel participe à l’acte et/ou qu’iel ne présente aucun signe permettant de croire qu’iel est contre, voire qu’il y a absence de résistance, cela constitue des stéréotypes qui doivent absolument être évités : «il incombe toujours aux adultes de s’abstenir de se livrer à de la violence sexuelle sur des enfants ». En deuxième lieu, établir une peine selon les types d’agression sexuelle poserait un grave danger : en aucun cas une hiérarchie dans les actes ne doit être faite.
Comme le mentionne le très Honorable Juge Richard Wagner au tout début de l’arrêt Friesen :
« Les enfants représentent l’avenir de notre pays et de nos collectivités. Ils font également partie des membres les plus vulnérables de notre société. Ils méritent de vivre une enfance à l’abri de la violence sexuelle.»
R c. Friesen, 2020 CSC 9
Restons donc à l’affût.