La protection des animaux part certainement de l’action individuelle de chacun. En effet, si vous avez bien suivi nos derniers articles, vous avez certainement vu une certaine tangente : celle des choix et actions personnels ainsi que l’impact qu’ils ont sur la faune. Cette semaine, j’ai décidé de faire un peu différent et d’orienter les projecteurs sur une scène complètement différente. Il sera donc question de faire un bref survol du droit des animaux au plan international, plus particulièrement lorsqu’il est question de commerce.
Le principal mécanisme international pour la protection des espèces, tant animales que végétales, est la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (utilisons son acronyme, CITES). Cette convention a été adoptée en 1973 et compte maintenant 183 Parties signataires. Elle classe donc plusieurs espèces animales et végétales dans trois annexes, prévoyant différentes mesures encadrant le commerce des différents spécimens. L’annexe 1 est la plus stricte et inclut des espèces menacées d’extinction, dont la survie pourrait être affectée par le commerce comme plusieurs espèces de baleines, de singes et de zèbres, pour ne nommer que ceux-ci. L’annexe 2 concerne les espèces qui pourraient devenir en danger d’extinction. L’annexe 3 est un peu différente puisqu’elle contient des espèces désignées seulement par certaines Parties comme nécessitant une protection particulière. L’inscription est valable en leur territoire uniquement. Il s’agit d’une catégorie intéressante pour protéger une espèce spécifique à un État, ou encore protéger sur son territoire une espèce qui n’entre pas dans les deux premières catégories. Par exemple, le Canada est la seule Partie à avoir inscrit dans cette catégorie l’Odobenus rosmarus (aussi connu sous le nom de « morse »). Cela signifie que sur le territoire du Canada, le morse a une protection spéciale et que son commerce nécessite certaines mesures particulières décrites à l’article V de la Convention. Par contre, comme la Russie ou les États-Unis ne l’ont pas inscrit et qu’il ne se retrouve pas aux deux autres annexes, il ne bénéficie pas de la même protection en ces territoires.
La CITES est également un bon forum pour rejoindre toutes les Parties dans les cas de problème concernant les espèces classées aux Annexes de la CITES. Par exemple, en octobre 2018, 123 tortues géantes des îles Galápagos ont été volées dans un parc national équatorien. Le pays a donc utilisé une notification aux Parties afin de partager la situation et de demander une vigilance accrue afin de retrouver les spécimens. Malheureusement, les tortues ne semblent pas avoir été retrouvées, mais il s’agit d’un outil qui peut s’avérer fort utile dans de telles circonstances. Les Parties peuvent également utiliser ce moyen de communication afin de mettre les autres au courant d’un changement dans leur législation nationale, comme l’ont fait, entre autres, le Japon, la Chine et la Nouvelle-Zélande en 2018.
Malgré toutes ses bonnes intentions, cette Convention n’est pas parfaite puisque les principes de droit international ne lui donnent techniquement pas force obligatoire et coercitive absolue sur les Parties. En effet, pour qu’une règle de droit international deviennent contraignante, on se souviendra qu’elle doit être intégrée au droit national d’un État. Le site Web de la CITES est intéressant puisqu’il permet de suivre les États qui ont adopté certaines lois dans le même sens que la Convention. En ce moment, 55% des Parties à la CITES remplissent les quatre conditions nécessaires à une mise en place nationale efficace de la Convention et 41% comptent entre une et trois conditions de mises en place. Ces conditions, tel qu’incluses dans la Notification 2016/066, sont :
- Désignation des autorités CITES (désignation légale, capacités et compétences, relations avec les autres services) ;
- Interdiction du commerce en violation de la Convention (couverture de toutes les espèces CITES et dispositions permettant l’amendement régulier des listes d’espèces ; couverture de tous les spécimens et de tous les types de commerce ; plan pour les permis/certificats) ;
- Sanctions en cas de commerce illégal (délits clairs, sanctions adéquates et appropriées) ;
- Compétence pour confisquer les spécimens possédés ou commercialisés illégalement.
Ainsi, on voit de bonnes intentions, mais qu’il reste encore du travail à faire individuellement chez les États signataires afin que l’application de la CITES se fasse d’une manière optimale.
Autre mécanisme intéressant, lorsqu’une Partie ne respecte pas certains engagements qu’elle a pris face à la CITES, elle est inscrite au tableau des « Pays faisant l’objet d’une recommandation de suspension de commerce ». Ainsi, dépendant des actions ou omissions d’une Partie, la Conférence des Parties ainsi que le Comité permanent recommandent l’interruption de commerce avec les États fautifs, soit pour une ou des espèces en particulier ou pour toutes les transactions liées à des espèces de la CITES. Encore une fois, il ne s’agit que de recommandations, mais une telle exposition ainsi que des répercussions économiques causées par les Parties suivant la recommandation peuvent motiver une Partie à se conformer à la Convention. Mais en pratique, est-ce que ça fonctionne vraiment? Il semblerait que oui, du moins dans certains cas. En effet, le 23 janvier dernier, la Notification 2019/007 informait les Parties que l’Islande a soumis trois rapports annuels manquants et que la recommandation de suspension de commerce qui pesait contre elle est maintenant levée.
En plus de la CITES, je trouvais également important de parler brièvement de la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Cette Liste est en fait la base de données classifiant la situation d’espèces animales et végétales la plus complète qui existe. En effet, 96 951 espèces y sont étudiées. À titre comparatif, la CITES ne comprend que 35 800 espèces. Cette liste ne fait pas partie d’une convention et est particulièrement utilisée pour diffuser l’information sur l’état des espèces et en permettre un suivi. De plus, elle est utilisée afin de constituer certaines conventions et a d’ailleurs servi à construire l’annexe de la CITES.
Maintenant, si je reviens au tout début de cet article : comment un Canadien peut-il acheter un chevrotain porte-musc à l’Afghanistan? En consultant la CITES, on découvre rapidement que les chevrotains porte-musc qui se retrouvent en Afghanistan font partie des espèces en danger de l’Annexe 1. La Liste rouge les classe également comme espèce en danger. Ainsi, leur commerce est déjà soumis à des règles très strictes contenues à l’Article III de la CITES. De plus, le Canada est l’un des pays qui a mis en place, dans sa législation, les quatre conditions favorisant une bonne mise en œuvre de la CITES et le site Web du gouvernement du Canada prévoit donc les étapes spécifiques à l’importation d’une espèce contenue à l’Annexe 1. Techniquement, en respectant les procédures et certaines conditions strictes, il serait possible d’importer un spécimen au Canada. Cependant, en consultant le tableau dont nous avons traité précédemment, depuis 2013, l’Afghanistan est en contravention à la CITES pour ne pas avoir fourni de rapport annuel pendant trois ans et donc une recommandation de suspension de commerce touchant toutes les espèces est en vigueur. Ainsi, jusqu’à ce que la situation de l’Afghanistan ne se régularise, il serait recommandé et souhaitable de ne pas donner lieu à cette transaction.
Par Camille Péloquin
Association pour la protection des animaux