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Ceci n’est pas un conflit. Ceci est une agression.

Le 27 septembre 2020, l’Azerbaïdjan, avec le soutien très actif de la Turquie, a lancé une offensive militaire contre la République d’Artsakh, ravivant un combat qui date de plus de 30 ans. 

Pour comprendre cette guerre, il faut comprendre l’histoire qu’il y a derrière, et le contexte géopolitique qui l’accompagne.

La région en jeu est reconnue internationalement sous le nom du Haut-Karabakh, ou de Nagorno-Karabakh. Cependant, le gouvernement et le peuple de la région se proclament comme la République d’Artsakh. 

HISTORIQUE

Durant la période de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), de 1920 à 1988, l’Artsakh comptait une très grande majorité autochtone arménienne d’environ 95% de la population totale et demandait le rattachement à la République socialiste soviétique (RSS) arménienne. Allant à l’encontre de cette demande, en 1923, les autorités soviétiques à la commande de Staline ont décidé de redéfinir le statut de l’Artsakh comme l’oblast (division administrative de l’Union soviétique) autonome du Haut-Karabakh au sein de l’Azerbaïdjan. L’oblast autonome du Haut-Karabakh (ci-après dénommé « OAHK ») a été officiellement créé en novembre 1924.

Ce qui a suivi était la mise en œuvre d’une politique de désarménisation claire de la part du RSS de l’Azerbaïdjan. Il y a eu, entre autres, la destruction de monuments culturels arméniens, comme les sculptures de croix datant de l’ère médiévale (dites « khatchkar » en arménien), dans l’OAHK et dans la République autonome de Nakhchivan, également rattachée à la RSS d’Azerbaïdjan. Il y a aussi eu un transfert du secteur industriel de l’OAHK vers d’autres régions de l’Azerbaïdjan, dans le cadre de la politique de la RSS azérie d’appauvrir la région.

Avec la politique de restructuration et de transparence accrue des institutions et des activités gouvernementales en Union soviétique (Perestroïka et Glasnost), l’engagement de l’administration Gorbatchev était de permettre aux citoyens soviétiques de discuter publiquement des problèmes de leur système et des solutions potentielles. Les arméniens de l’OAHK et de la RSS arménienne ont donc pu présenter leurs revendications pour l’indépendance de l’Artsakh et pour son union à l’Arménie, dans les règles du droit soviétique qui s’appliquait à ce moment.

En février 1988, les résultats d’un référendum non officiel ont démontré une majorité écrasante pour le rattachement de l’OAHK à la RSS arménienne. Des campagnes de violence et d’intimidation ont eu lieu envers les arméniens vivant en Azerbaïdjan, dans un contexte où l’URSS était en déclin et peu encline à assurer la sécurité de la population visée.

Les événements tragiques qui ont suivi le référendum de 1988 étaient une conséquence de l’intensification de l’offensive azérie. Les pogroms anti-arméniens dans les villes de Sumgait et de Baku, en 1988 et 1990 respectivement, faisaient partie d’une série d’actes de nettoyage ethnique des arméniens vivant en Azerbaïdjan. En conséquence, l’Azerbaïdjan fut vidé de sa population arménienne.

Entre le rejet de la déclaration d’indépendance de l’Artsakh par l’Azerbaïdjan en 1988, qui était aussi nouvellement indépendant, et le cessez-le-feu du mois de mai 1994, la guerre a continuée. 

Il est important de noter que la dissolution de l’URSS était l’élément déclencheur pour l’accession à la souveraineté de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Durant ce même moment, l’Assemblée nationale du Haut-Karabakh a proclamé son indépendance, en septembre 1991, ce qui a poussé l’Azerbaïdjan à retirer le statut d’autonomie du Haut-Karabakh. Cette réaction n’a tout de même pas empêché la population arménienne de ratifier la proclamation d’indépendance à la suite d’un référendum le 10 décembre. 

Aujourd’hui la République d’Artsakh maintient son indépendance de facto avec une majorité ethnique arménienne de plus de 95%, mais son territoire demeure internationalement reconnu comme faisant partie de la République d’Azerbaïdjan.

OFFENSIVE MILITAIRE AU MOIS DE SEPTEMBRE 2020

L’offensive armée turco-azérie contre l’Arménie et l’Artsakh dure depuis plus d’un mois. L’Arménie a aujourd’hui perdu plus de 1000 soldats. Ce chiffre, pour un pays de 3 millions d’habitants est immense. Malheureusement, il est impossible de connaître le nombre de victimes militaires du côté azéri. Le gouvernement Aliyev refuse aussi de laisser rentrer les journalistes internationaux sur le territoire azéri, pour rapporter les évènements. 

Selon la presse internationale, ce n’est plus le président Aliyev de l’Azerbaïdjan qui prend les décisions militaires, mais plutôt le président Erdogan de la Turquie.  Depuis Ankara, il soutient l’armée azerie en important des djihadistes de la Syrie, en offrant l’aide de son armée, et des équipements de combat sophistiqués, car il considère que les peuples d’Azerbaïdjan et de la Turquie ne font qu’un dans deux états distincts. De son côté, Israël, vend aussi des armes meurtrières à l’Azerbaïdjan, armes qui servent à exterminer les arméniens de l’Artsakh. 

Les déclarations du président turc laissent croire qu’il souhaite terminer le « travail » que les Jeunes-Turcs de l’Empire Ottoman avaient exécutés en 1915, à savoir le génocide d’un million et demi d’arméniens, afin de réaliser ses ambitions néo-impérialistes turques. L’objectif stratégique de la Turquie semble être le prolongement de la Turquie vers les territoires de l’ex-Union Soviétique à populations de culture turque, le premier étant l’Azerbaïdjan, ouvrant sur l’Asie centrale. L’Arménie et l’Artsakh se trouvent sur le passage et contrecarrent ce projet.

Pendant ce temps, la Turquie viole les eaux territoriales de la Grèce, et est impliqué dans des hostilités à Chypre, en Grèce, en Lybie, en Syrie, et aujourd’hui, un nouveau front au Caucase. La Turquie, qui est membre l’OTAN, est censé être le partenaire et l’allié dans toutes décisions stratégiques dans lequel la Grèce, la France et le Canada, entre autres, sont impliquées. Où s’arrêtera la Turquie du président Erdogan ?

LA NEUTRALITÉ TUE

L’histoire n’a jamais qu’un seul côté. Cependant, il suffit de se poser quelques questions pour voir qu’en réalité, une agression militaire arménienne est improbable aujourd’hui.

L’Arménie, qui compte environ 3 millions d’habitants et l’Artsakh, qui en compte 150 000, auraient-elles une raison de mener une offensive militaire contre l’Azerbaïdjan et la Turquie, qui eux, comptent respectivement 82 millions et 10 millions d’habitants ?

Rappelez-vous que l’Artsakh était déjà un état indépendant de facto avant l’attaque militaire, avec une majorité ethnique arménienne de plus de 95% environ, et que l’Azerbaïdjan n’a pas le contrôle effectif du territoire depuis 1991.

Aurait-il été sage pour l’Arménie, qui a un budget militaire d’environ 451,30 millions de dollars américains, d’attaquer l’Azerbaïdjan qui a un budget militaire d’environ 2,267 milliards de dollars américains, et la Turquie qui a un budget militaire d’environ 20,4 milliards de dollars américains ?

Il est important de noter que les ventes d’armes turques à l’Azerbaïdjan ont augmenté considérablement avant les combats au Haut-Karabakh.

Ce que les azéris considèrent comme agression est le fait que les arméniens vivent sur environ 20% de « leur » territoire depuis 2000 ans, de façon ininterrompue, tout comme les arméniens qui vivaient sur leurs terres ancestrales dans l’Empire ottoman. L’Histoire se répète et les atrocités aussi. 

Il n’y a aucune équivalence d’agression en l’espèce, même si la neutralité journalistique pourrait nous faire croire le contraire, en nommant les arméniens qui vivent en Artsakh des « séparatistes ». D’ailleurs, l’organisme « Genocide Watch » a lancé une alerte d’urgence au génocide en raison de l’agression de l’Azerbaïdjan contre la République arménienne d’Artsakh. Selon leur alerte, l’Azerbaïdjan a envahi l’Artsakh en septembre 2020 pour reprendre le territoire qu’il avait perdu durant la guerre d’indépendance de l’Artsakh de 1988 à 1994. « Genocide Watch » considère que l’Azerbaïdjan est rendu à l’étape 9: extermination et à l’étape 10: déni, des 10 étapes du génocide. 

La reconnaissance du gouvernement canadien de l’indépendance de la République d’Artsakh est donc nécessaire, afin d’arrêter ce massacre. Non seulement pour la protection du peuple autochtone arménien qui habite là, mais aussi pour ramener à l’avant l’image du Canada comme gardien des droits humains. Sans cette indépendance, les habitants de l’Artsakh seront anéantis. 

COMMENT S’Y PRENDRE ?

Selon plusieurs experts, la reconnaissance de la République d’Artsakh doit se faire sur la base de la sécession pour réparation (remedial secession). 

En vertu du droit international, le droit à la sécession pour réparation naît lorsqu’un peuple vivant dans un pays est soumis à de graves violations systémiques de ses droits humains, que le peuple subit de la discrimination par le gouvernement et lorsque toutes les autres mesures pour résoudre la situation ont échouées. Dans un tel cas, pour protéger les gens d’un génocide, ils doivent former un État séparé et indépendant comme seule solution possible et finale.

Ce principe a bénéficié au Kosovo, suite au nettoyage ethnique que la population a subi dans les années 1990. Si ce principe n’est pas appliqué aujourd’hui au peuple autochtone arménien de l’Artsakh, le génocide arménien perpétré par les Ottomans de 1915, reconnu par le monde mais nié par la Turquie, se poursuivra avec l’aide du gouvernement azéri.

L’Azerbaïdjan a adhéré aux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme en 1992. Il est donc tenu de « faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Ce que le gouvernement ne fait pas aujourd’hui.

Oui – le Haut-Karabakh est internationalement reconnu comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Ceci doit changer pour la protection du peuple autochtone qui vit là et qui veut continuer à vivre là librement et paisiblement. La seule façon d’atteindre la paix sera par la reconnaissance de la République d’Artsakh.

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