Depuis plusieurs mois, les problèmes reliés aux différents peuples autochtones à travers le Canada me choquent, me dérangent, m’attristent et font sortir en moi une avocate dédiée à la cause de ces personnes. En effet, lorsque je me suis inscrite dans ce programme, mon objectif était de prendre le droit comme outil d’aide envers des personnes marginalisées, plus démunies. À travers mon cours de droits des Autochtones, je remarque et constate que, bien qu’il y ait eu d’énormes avancés pour les Premières Nations, il reste encore des lois, dont la Loi sur les Indiens, et des pratiques discriminatoires et stéréotypées. C’est dans se sens que je vais essayer de décortiquer une des limites fondamentales aux droits ancestraux des peuples autochtones, soit la limite intrinsèque.
Pour bien comprendre cette limite, il est important de comprendre le contexte dans lequel elle s’inscrit. Selon l’art. 35 (1) de la Loi constitutionnelle de 1982, « Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés ». Cela veut donc dire que les peuples autochtones reconnus ont des droits constitutionnels par rapport à leur ancienneté sur le territoire. D’une part, il est possible pour un peuple d’avoir des droits constitutionnels découlant de leurs droits ancestraux. Ces droits peuvent être décrits comme des droits reconnus aux Autochtones par le droit étatique en raison de l’occupation des Européens sur le territoire qui est aujourd’hui dénommé le Canada. Ces droits sont donc reliés directement avec les conséquences démographiques, culturelles, spirituelles, commerciales, économiques, politiques et beaucoup d’autres de la « découverte » de l’Amérique. Étant donné que les terres étaient considérées comme des terra nullius, les Français, au Québec, et les Anglais, dans le reste du Canada, se sont attribué une cession des territoires selon le principe de découverte de territoire en droit international. À travers les décennies et les siècles, les peuples autochtones se sont retrouvés sans territoire, sans culture, sans famille, sans identité. C’est dans la Loi constitutionnelle de 1982 que le gouvernement fédéral a tenté de redonner une certaine forme d’autonomie et de pouvoir aux différentes communautés.
C’est à cette étape que la question de la limite intrinsèque rentre en jeu. En effet, le droit ancestral le plus important est le titre ancestral. Ce type de droit fait référence directement avec la possibilité pour les communautés autochtones d’avoir un droit exclusif de propriété sur une partie du territoire canadien qui leur appartenait avant la déclaration de la souveraineté de la Couronne. Comme le mentionne la Cour suprême dans l’arrêt NATION TSILHQOT’IN c. COLOMBIE-BRITANNIQUE, 2014 CSC 44, « un titre ancestral confère le droit d’utiliser et de contrôler le territoire et de tirer les avantages qui en découlent » (par. 1). Cependant, cette utilisation exclusive a une limite, soit la limite intrinsèque. Dans Nation Tsilhqot’in, la Cour suprême juge que le titre ancestral comporte qu’une seule restriction, soit le respect des générations futures (par. 74). En effet, les territoires qui sont assujettis au titre ancestral peuvent être utilisés comme bon le semble par les peuples, mais ils ne peuvent pas être aménagés d’une façon qui changerait substantiellement le droit aux générations futures d’être en mesure d’utiliser ces terres. Il est possible d’apporter de simples modifications, comme la construction de domicile, de couper le bois dans une partie du terrain ou autres. Cependant, il n’est pas possible pour ces peuples de faire des modifications qui affecteraient le rapport traditionnel avec la terre, comme l’instauration d’une mine à ciel ouvert ou la construction d’un stationnement.
En tant que femme blanche, il est difficile pour moi de comprendre réellement les difficultés et les rapports que ces peuples ont vécus et vivent encore par rapport à leur culture. Cependant, il est évident que cette limite a plusieurs inconvénients, qui peuvent trouver leurs sources dans une certaine forme de stéréotypisation des différents peuples. Tout d’abord, la limite intrinsèque vient clairement contredire le principe de l’exclusivité des droits en imposant une limite sur ce qu’il est possible de faire ou non sur un territoire assujetti à un titre ancestral. En effet, comme mentionné, le titre ancestral donne une exclusivité d’utilisation et de propriété sur les terres. Cependant, la limite vient clairement réfuter cette présomption. La Cour suprême vient donc imposer une obligation qui est juridiquement pas censée être présente. De plus, une des raisons principales d’imposer cette limite est pour que les peuples gardent un lien avec leurs ancêtres et les traditions transmises de génération en génération. Par contre, selon moi, il est très paternaliste de la part de la Cour d’insinuer que les peuples d’aujourd’hui doivent garder le même lien que leurs ancêtres avec la nature. En effet, la Cour impose une certaine vision de ce que devrait être aujourd’hui un peuple basé sur la vision qu’elle a de ce qu’ils étaient il y a maintenant 400 ans. Les peuples autochtones (majoritairement) ne font plus de la pêche en canot, tissent des paniers de rosier ou autres activités d’antan. Il y a eu une évolution dans leurs manières de fonctionner, de commercer, de survivre. Il est donc dommage que la Cour garde une stéréotypisation de ce que sont les peuples autochtones. Enfin, cette limite perpétue aussi cette vision pour les générations suivantes. En effet, la Cour assume en imposant cette limite que les autochtones qui seront présents dans 150 ans devront vivre de la même manière qu’il y a 400 ans. C’est illusoire et irréaliste d’imposer une évolution restreinte. À ma connaissance, il n’y a aucun Canadien non autochtone qui a cette obligation envers ses générations futures. Donc, pourquoi les peuples autochtones ont-ils cette obligation?
En gardant tout mon respect pour la Cour suprême du Canada, je crois qu’il est temps de donner aux peuples autochtones la valeur dont ils méritent et de ne pas les garder dans un carcan qui satisfait aux blancs, mais nuit aux Premières Nations. Il serait peut-être donc temps que la Cour revoie cette limite dans un des droits les plus fondamentaux pour ces peuples.
